Accès au logement et à l’hébergement : une situation préoccupante
Entretien avec David hedrich, chargé de projets Hébergement/Logement au Secours Catholique.
Secours Catholique : Le Secours Catholique et ses partenaires ont obtenu en août dernier l’annulation par le Conseil d’État d’une partie critique d’un décret ministériel datant du 29 juillet 2023 fixant les normes de salubrité des locaux d’habitation. Quel a été le plaidoyer défendu par le Secours Catholique pour obtenir cette annulation, et pourquoi ?
David Hedrich : Ce décret publié discrètement durant l’été 2023 fixait au niveau national les règles définissant ce qu’est un lieu à usage d’habitation non problématique pour la santé de ses occupants. Et ces normes étaient moins-disantes par rapport à l’existant. L’exemple le plus criant : auparavant, on ne pouvait pas mettre sur le marché locatif un logement dont le plafond est inférieur à 2m20. Avec ce décret, la limite était ramenée à 1m80. On pouvait ainsi louer un bien de ce type-là sans être taxé d’être un marchand de sommeil. Autre exemple : la mise en location d’un sous-sol sans ouverture latérale devenait possible.
Il est important de défendre l’augmentation du nombre de logements, mais on ne peut pas le faire en baissant les normes.
Avec nos partenaires, nous avons estimé nécessaire de porter devant le Conseil d’État que ces mesures (et d’autres, impliquant d’autres régressions) n’étaient pas acceptables. Il est important de défendre l’augmentation du nombre de logements, mais on ne peut pas le faire en baissant les normes. D’où ce recours devant le Conseil d’État : le Secours Catholique a pointé les défaillances évidentes de ce décret et obtenu du Conseil d’État son annulation partielle. Désormais, il revient à la ministre du logement d’en proposer une nouvelle version.
Cette victoire pointe une dynamique que nous défendons : il faut construire du logement social, et notamment du logement très social. Nous avons estimé le besoin à 200 000 nouveaux logements sociaux par an, dont 80 000 très sociaux, c’est-à-dire accessibles aux plus pauvres des demandeurs. Le projet de loi de finances en cours de préparation comporte un objectif chiffré moitié moindre que nos attentes. C’est très inquiétant car l’an dernier, nous étions à moins de 80 000 logements sociaux construits toutes catégories comprises, donc il y a un vrai retard à rattraper.
S.C. : À l’heure de la trêve hivernale des expulsions locatives, quel tableau peut-on brosser du logement et de l’hébergement d’urgence en France ?
D.H. : La situation est très inquiétante : les files d’attente à un logement social n’ont jamais été aussi longues. Par exemple, dans le Maine-et-Loire, en l’espace de quelques années, les délais d’attente ont doublé. L’accès au logement privé, en parallèle, est extrêmement difficile : on peine à construire car cela coûte plus cher du fait de l’inflation et de la hausse des coûts des matières premières, notamment. Les niveaux de vie, eux, ne suivent pas l’inflation, si bien qu’il devient plus compliqué encore de se loger. On observe des ménages en difficulté de paiement, et également les premiers effets de la loi Kasbarian-Berger, entrée en vigueur l’an dernier et facilitant les expulsions locatives en cas d’impayés. Fin 2023, on constatait déjà une augmentation de 23% des expulsions par rapport à 2022, et ce n’est sans doute que le début.Les files d’attente à un logement social n’ont jamais été aussi longues.
Dans l’attente d’un accès pour tous à un logement, nous pensons qu’il est nécessaire d’avoir une réponse à la détresse des personnes sans-abri en termes de places d’hébergement. Le constat est assez effrayant : il n’y a jamais eu autant de personnes à la rue, et notamment d’enfants. L’Unicef et la Fédération des Acteurs de la Solidarité ont compté plus de 2000 enfants à la rue à la rentrée, un nombre qui a doublé par rapport à 2021. Or, dans le projet de loi de finances actuel, les éléments ayant trait à l’hébergement sont un « copier coller » de l’an dernier, alors que nos partenaires opérateurs de l’hébergement ont déjà toutes les difficultés à boucler l’année. Le budget prévu pour 2025 ne sera donc pas suffisant pour conserver le nombre de places actuelles (soit 203 000). La Cour des comptes juge ce prévisionnel insincère. Des enveloppes supplémentaires ont été promises l’an dernier, mais on ne les a jamais vu arriver.
Ces personnes sans solution, nous les rencontrons dans nos accueils de jour, où nous sommes témoins de situations de plus en plus tendues. Nos accueils sont saturés, comme à Avignon ou Nice par exemple. Les murs deviennent trop petits, et on en perd notre capacité à gérer autre chose que la survie de ces personnes. Il faut donc leur permettre d’avoir un lieu d’abri y compris la journée, et d’accéder rapidement au logement pour celles qui le peuvent. À ce stade, aucun budget supplémentaire n’est prévu pour les accueils de jour, qui restent le parent pauvre de la veille sociale.
S.C. : Comment l’association porte ces enjeux auprès des pouvoirs publics ?
D.H. : Le Secours Catholique travaille avec un groupe de députés transpartisan sur la question de l’hébergement, pour rendre visible notamment la question des enfants à la rue. C’est un sujet qui porte. Nous espérons, par ce travail de dialogue, pouvoir peser sur la question budgétaire à court terme.
Sur le terrain, localement, face au manque de moyens, nous constatons que certains publics sont discriminés dans l’accès à l’hébergement. Des préfectures pratiquent par exemple des remises à la rue de familles quand elles ne suivent pas de cours de français, ou qu’elles n’ont pas de suivi social. Nous comptons saisir la Dihal* ainsi que le Défenseur des droits, pour demander simplement un respect du droit. Par ailleurs, des équipes du Secours Catholique accompagnent dans des recours en justice des familles avec des enfants en bas âges sans solution de mise à l’abri, et l’on arrive à obtenir des solutions de justice positives, où le juge estime qu’il se passe des choses graves.
*Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement