Alerte dans le Haut-Karabakh, où 120 000 personnes sont coupées du monde
Entretien avec Cécile Polivka, chargée de projet pour l’Arménie.
Cécile Leclerc-Laurent : Quelle est la situation humanitaire pour les 120 000 Arméniens soumis à un blocus depuis le 12 décembre 2022 ?
Cécile Polivka : Nous sommes face à une crise humanitaire de grande ampleur, car depuis que des activistes azerbaïdjanais empêchent la circulation dans le corridor de Latchine, l’unique route qui relie le Haut Karabakh à l’Arménie, les Arméniens ne peuvent plus entrer sur ce territoire. Ils ne peuvent qu’en sortir. Rappelons que le Haut-Karabakh est habité par 95% d’Arméniens.
Auparavant 400 tonnes de marchandises (biens alimentaires et médicaux) transitaient chaque jour par ce corridor. Aujourd’hui les 120 000 Arméniens sur place font face à une pénurie de biens, car seulement quelques tonnes transitent via le comité international de la Croix-Rouge ou le contingent russe de maintien de la paix.
Les habitants sont aussi en manque de soins, ils n’ont que deux à trois heures d’électricité par jour et les pipelines de gaz ont été coupés. Les habitants font donc face au froid en plein hiver et les écoles ont ainsi dû toutes fermer par manque de chauffage, ce qui prive d’éducation 20 000 enfants. Enfin, il faut noter que des enfants qui étaient présents dans le reste de l’Arménie pour des compétitions sportives par exemple avant le 12 décembre sont depuis séparés de leurs parents restés dans le Haut-Karabakh.
Ce blocus ne respecte pas l’accord tripartite de cessez-le-feu signé par l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Russie en novembre 2020 lors de la guerre, accord qui prévoyait le maintien du corridor. On assiste donc à un blocus total du Haut-Karabakh, qui vise à asphyxier les Arméniens afin qu’ils quittent l’enclave et que l’Azerbaïdjan récupère le territoire.
C.L.-L. : Comment expliquer les tensions vives dans la région ?
C.P. : Rappelons que le Haut-Karabakh s’est autoproclamé indépendant de l’Azerbaïdjan en septembre 1991 et est depuis disputé par l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La dernière guerre de septembre 2020 a fait de nombreux déplacés. Déjà en septembre dernier on avait assisté à des combats à la frontière entre les deux pays faisant près de 300 morts. C’est la Russie qui est chargée du maintien de la paix dans la région, mais ce conflit est oublié et occulté par la guerre en Ukraine.
La communauté internationale est silencieuse à ce sujet et il y a une frustration immense des Arméniens alors que la crise humanitaire est grave. Caritas Arménie, partenaire du Secours Catholique, nous a donc interpellés ainsi que Caritas Europa et Caritas Internationalis afin de faire connaître ce blocus en cours dans le Haut-Karabakh et sensibiliser la communauté internationale à ce sujet.
C.L.-L. : Le Secours Catholique avait soutenu Caritas Arménie lors de la dernière guerre de 2020. Que fait-il aujourd’hui ?
C.P. : Nous soutenons Caritas Arménie dans le projet « Recovery » qui vise à accompagner les déplacés du Haut-Karabakh qui se sont installés dans la région de Lori, en Arménie, après la guerre de 2020. Caritas Arménie les aide à acquérir une autonomie sociale et économique en leur fournissant des biens de première nécessité et un appui matériel ou financier pour lancer leur activité (par exemple du bétail pour un éleveur). Nous soutenons ainsi 150 ménages. Le projet a toujours autant de sens, plus de deux ans après le cessez-le-feu, avec cette nouvelle crise qui surgit. Nous allons continuer à déployer de l’aide d’urgence pour les déplacés du Haut-Karabakh.