Alimentation : quand consommateurs et agriculteurs réfléchissent ensemble à un meilleur modèle

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Depuis cet été, des agriculteurs et des consommateurs, réunis par le Secours catholique et le réseau Civam, dans le Finistère et les Alpes-de-Haute-Provence, réfléchissent ensemble aux dysfonctionnements de notre système alimentaire et aux solutions pour favoriser un modèle plus vertueux.
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Ce mardi 27 février, quand le cadre de la FNSEA, le principal syndicat d'agriculteurs, avec qui il discute depuis quelques minutes explique que les ménages précaires préfèrent acheter des iPhones plutôt que de bien manger, Patrick ne peut contenir son agacement. « Le discours que vous empruntez ne correspond pas à la réalité », réplique-t-il aussitôt. Quelque peu surpris, son interlocuteur préfère esquiver : « Je ne suis pas un spécialiste du sujet. »

Retraité, vivant avec 650 euros par mois, Patrick sait, lui, de quoi il parle. Il est venu, ce mardi, au salon de l’agriculture avec une quinzaine d’autres membres du Secours Catholique ou du réseau Civam, dans le but de rencontrer des acteurs de l’industrie agro-alimentaire et d’échanger avec eux sur la précarité alimentaire et les conditions d’une alimentation saine et durable. Avant de se rendre sur le stand de la FNSEA, le groupe a longuement dialogué avec un cadre de la marque Herta, connue pour sa saucisse Knacki, un responsable de la coopérative « C’est qui le patron ? », qui défend une juste rémunération des producteurs, et un éleveur de vaches laitières qui fournit l’enseigne de hard discount Lidl. 

Envies et Contraintes

« L’objectif de ces rencontres était de voir si ces acteurs sont préoccupés par les questions d’environnement et de santé, si l’accessibilité fait partie de leurs sujets et dans quelle mesure ils partagent notre réflexion », explique Astrid Aulanier, chargée de mission Plaidoyer Accès digne à l'alimentation durable, au Secours catholique. Une réflexion qu’ont entamé, voici plusieurs mois, dans le Finistère et dans les Alpes-de-Haute-Provence, des consommateurs et des agriculteurs réunis par le Secours Catholique et le réseau Civam. « Cela m’intéressait d’en savoir plus sur ce qu’on mange et sur le pourquoi des prix, indique Alain, bénévole à la Petite marmite, à Manosque, et allocataire du RSA, qui participe à cette démarche. J’ai aussi pensé que je pouvais y apporter mon expérience de consommateurs, parler de mes envies et de mes contraintes. »

Ancien cuisinier, Alain essaye de faire attention à ce qu’il mange, dit-il. « Les knackis, les tranches de jambon vendues moins chères par paquets de huit, les crêpes toutes faites… Ce n’est pas trop mon truc. Je préfère tout ce qui est frais. Pour le jambon, je vais juste acheter deux tranches à la découpe chez le boucher. Je n’ai pas besoin de plus. Les crêpes, c’est du lait, de la farine, des œufs, je me les fais moi-même. » Il a le temps de cuisiner et cela lui plaît. « Après, ce sont les finances qui ne suivent pas. » Faute de moyens, pour se nourrir, Alain s’approvisionne principalement à l’aide alimentaire. Chaque semaine, il y reçoit principalement des boîtes de conserves, quelques fruits et légumes aussi, « souvent en fin de vie et déjà un peu fatigués. Et ce n’est pas du local », précise-t-il. Alain confie n’éprouver aucun plaisir à avaler du cassoulet ou des saucisses lentilles en boîte. « C’est juste histoire de se remplir le ventre. » S’il le pouvait, il cuisinerait des coquillages, du poisson et plus de fruits et légumes. « Mais quand on est au RSA, on n’a pas les moyens de choisir ce qu’on mange. »

Quand on est au RSA, on n’a pas les moyens de choisir ce qu’on mange.

Cette réalité, Anne, agricultrice finistérienne, l’aurait difficilement imaginée avant de rejoindre le Civam, puis de rencontrer Patrick, le retraité, et Jérôme, qui vit de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), lors des réunions organisées à Brest avec le Secours Catholique. « Ce qu’a dit la personne de la FNSEA concernant les iPhones, il y a quelques mois, je l’aurais sûrement approuvé », avoue-t-elle. Lorsque cette maraîchère en agriculture biologique s’est installée à Plomelin, il y a cinq ans, l’accessibilité de ses produits aux ménages précaires n’était pas vraiment un sujet pour elle. « Ce n’était pas une question que je me posais. Et d’ailleurs, aujourd’hui, je connais des collègues qui préfèrent encore l’éluder. Ils considèrent qu’ils ont suffisamment de problèmes à traiter et que celui-ci est trop compliqué à solutionner. Moi, moralement, ça ne me paraît plus possible d’en faire abstraction. »

Anne a été sensibilisée à la précarité alimentaire par le Civam qui a fait de la lutte contre cette forme de pauvreté un enjeu majeur. « Je me suis rendu compte que je ne remplissais pas tous les critères de durabilité établis par le réseau. Qu’il me manquait l’accessibilité. » Elle l’observe d’ailleurs chaque semaine, lorsqu’elle écoule ses légumes au marché de Plomelin. « Je vois bien que les personnes qui vivent dans les logements sociaux ne viennent jamais à mon étal. Ils se disent qu’en termes de coût, ce n’est pas pour eux. » Cela l’interpelle. « C’est perturbant de se dire qu’on fait de la nourriture saine mais que tout le monde n’y a pas accès. Alors que ce devrait être le cas, surtout pour les plus précaires qui sont en mauvaise santé notamment parce qu’ils mangent mal. » Elle entreprend des initiatives comme ce contrat passé avec le centre communal d’action sociale (CCAS) de la commune pour fournir les usagers en légumes, l’hiver, ou le don de ses surplus au Secours populaire, certains été. « Mais ce ne sont que des pansements », convient-elle. 

Agriculteurs précaires

Participer à la réflexion commune menée avec le Secours catholique, était pour cette maraîchère l’occasion de rencontrer des consommateurs qui vivent la précarité au quotidien afin de mieux connaître cette réalité et pouvoir en parler, notamment aux élus de son territoire qu’elle aimerait réussir à mobiliser sur ce sujet. Lors des échanges, elle s’est également rendu compte des a priori que pouvaient avoir les personnes sur les agriculteurs. « Beaucoup n’imaginent pas que des producteurs puissent être très précaires. » Apporter au groupe sa connaissance du monde et du métier agricoles, c’est aussi son rôle, considère-t-elle,

C’est tout l’intérêt de cette réflexion qui réunit consommateurs et producteurs « qu’on a souvent tendance à opposer », souligne Astrid Aulanier, avant de conclure : « Comprendre ce qui se vit à l’autre bout de la chaîne, se rendre compte qu’on partage certaines réalités, notamment en termes de précarité, permet de sortir de cette opposition vaine et de chercher des solutions qui  conviennent à tous. »
 

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Crédits
Nom(s)
Benjamin Sèze
Fonction(s)
Journaliste
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