Au Brésil, les peuples autochtones en danger
Face aux incendies qui ravagent la forêt amazonienne, le REPAM, réseau de l'Église catholique qui promeut les droits et la dignité des peuples vivant en Amazonie, appelle à une prise de conscience : ces incendies sont le résultat de « l'exploitation de l'environnement et de la violation des droits de base de la population amazonienne. »
L’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro le 1erjanvier dernier a en effet sonné le glas de la reconnaissance des terres des peuples autochtones. Durant sa campagne, le président avait promis qu’il n’y aurait pas « 1 cm² de terre autochtone en plus ». Le CIMI, conseil indigéniste missionnaire, partenaire du Secours Catholique, tire la sonnette d’alarme.
Entretien avec Luis Ventura Fernandez, membre du CIMI et coordinateur de la thématique « peuples autochtones » au REPAM, le réseau ecclésial panamazonien.
Secours Catholique : Pourquoi la présidence de Bolsonaro représente un danger pour les peuples autochtones ?
Luis Ventura Fernandez : L’homme a toujours nié l’existence des peuples indigènes. Il avait juré que jamais de sa vie, il ne reconnaîtrait leurs terres et leur gestion de celles-ci. Il souhaite revenir à la situation d’avant la promulgation de la Constitution de 1988, lorsque les autochtones n’étaient pas reconnus en tant que peuple autonome et libre.
Ainsi, quelques minutes après son investiture, il a privé la Fondation nationale de l’Indien (Funai) de sa compétence d’identification et de démarcation des terres et l’a confiée au ministère de l’Agriculture, qui a toujours été un instrument au service de l’agrobusiness et des lobbys ruralistes*.
Parallèlement, Bolsonaro a supprimé le ministère du Développement agricole qui assurait la promotion de l’agriculture familiale. Concrètement, cela veut dire que la reconnaissance des peuples autochtones et leur autonomie dans la gestion leurs terres sont terminées.
Un exemple frappant de mise en place de cette politique a été le passage en force du projet de lignes à haute tension électrique en Amazonie. Bolsonaro a fait appel à l’argument de « défense nationale » pour ne pas avoir à consulter les peuples autochtones, conformément à la convention numéro 169 de l’OIT, l’organisation internationale du travail, que le Brésil a ratifiée. Le problème est que ce type de décision risque de faire jurisprudence.
Résultat : nous observons la multiplication de ventes illégales de terres à de grands propriétaires terriens qui viennent exploiter le bois ou les minéraux. Ils accaparent les terres des peuples autochtones en toute impunité. Et c’est nouveau, car avant ceci était dénoncé.
S.C : Peut-on dire qu’indirectement Bolsonaro légitime les actes de violence à l’encontre des indigènes ?
L.V.F : Oui, je dirais même qu’il les cautionne. En quelque sorte, l’accord a été donné aux grands propriétaires terriens d’envahir les terres des autochtones, et ce, parfois avec violence. Cette dernière augmente. Il y a eu ainsi des assassinats de petits producteurs paysans en Amazonie. Ceux-ci, comme les peuples autochtones, sont également menacés.
S.C : Les grandes industries agroalimentaires, minières, et forestières sont-elles derrière cette politique ?
L.V.F : Cela paraît évident : ces grandes multinationales souhaitent accaparer ces terres. Le ministre des mines et des énergies a lui-même prôné l’ouverture aux entreprises extractivistes, vantant un assouplissement de la législation.
De mon point de vue, le seul projet politique de Bolsonaro est son plan de développement économique néolibéral, et celui-ci va à l’encontre des peuples autochtones. Mais au-delà, il est difficile de savoir où il veut mener le pays. Il est imprévisible, proche de l’attitude d’un Donald Trump.
Son gouvernement est en fait divisé entre les soutiens à l'agrobusiness et aux entreprises extractivistes, qui défendent une politique économique néolibérale ; les fondamentalistes évangéliques ; et les militaires qui occupent de nombreux espaces de décision. Cette diversité de points de vue crée du désordre au sommet de l’État, c’est un cocktail dangereux.
S.C : Peut-on dire que la politique de Bolsonaro est la porte ouverte à la destruction de l’Amazonie ?
L.V.F : Sa politique est un attentat contre l’Amazonie ! Il promeut l’exploitation des territoires et des biens communs de la planète (eaux, forêts, biodiversité). Il va à l’encontre de tout développement soutenable et nie le changement climatique.
À l’inverse, les peuples autochtones protègent leur environnement. Leur relation avec l’habitat et leur union avec la nature a permis la régénération des milieux naturels. La meilleure politique de protection de la planète, c’est donc la protection de l’autonomie des peuples indigènes et de gestion de leurs territoires. C’est pourquoi le CIMI veut la garantie de la démarcation de leurs territoires.
S.C : Quel plaidoyer portez-vous en ce sens ?
L.V.F : Nous continuons à former les leaders autochtones pour qu’ils apprennent leurs droits et se défendent eux-mêmes à l’échelle de leur territoire. Au niveau national, nous agissons avec les autres acteurs de la société civile d’une part pour faire connaître aux citoyens la réalité des peuples autochtones qui se font spolier leur terre, et d’autre part pour exiger l’application de la convention internationale numéro 169 de l’OIT.
Nous avons aussi déposé des plaintes en justice pour dénoncer les conflits d’intérêts au sein du ministère de l’Agriculture dans lequel de grands propriétaires terriens occupent des postes clés.
Enfin, au niveau international, avec nos partenaires comme le Secours Catholique, nous sensibilisons les États et l’Union européenne pour qu’ils fassent pression sur Bolsonaro afin qu’il respecte les engagements du Brésil sur les droits de l’homme.
Nous demandons également une sanction morale à la suite de la volonté du président de faire du 31 mars un jour férié pour commémorer le coup d’état du Brésil en 1964. Commémorer la dictature, quelle farce ! Ce régime a été particulièrement génocidaire pour les indigènes !
Aujourd’hui, le Brésil a un gouvernement ruraliste, industriel, militaire et avec un pseudo statut démocratique, et cela doit inquiéter la communauté internationale.
* Lobbys de l'industrie agroalimentaire.
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