Aude Hadley : « Défendre l’Amazonie et les peuples autochtones nous concerne tous »
ENTRETIEN AVEC Aude Hadley, responsable du pôle Amérique latine et Caraïbes au Secours Catholique-Caritas France.
Plusieurs centaines de militants, venant des huit pays amazoniens et de la Guyane française, se réunissent jusqu’au 15 juin à Rurrenabaque et San Buenaventura, en Bolivie, à l’occasion du 11ème Forum social panamazonien (FOSPA). Le Secours Catholique et ses partenaires amazoniens y sont présents. En quoi ce rendez-vous est si important ?
Aude Hadley : Le FOSPA est un rendez-vous incontournable pour les sociétés civiles des pays et des territoires du bassin amazonien. C’est un lieu de rencontres, d’échanges et de mobilisation qui permet de faire émerger des initiatives et d’avancer sur des positionnements, que les organisations peuvent ensuite porter dans des espaces de plaidoyer tels que les COP. Nous avons en ligne de mire la COP30 sur le changement climatique, qui sera organisée au Brésil l’an prochain.
D’ici-là, il est important de dénoncer les fausses solutions pour le climat, l'environnement et l'Amazonie. Nos partenaires amazoniens nous disent, d’une part, qu’ils ne veulent pas d’une mise sous cloche de l’Amazonie avec une protection de cette forêt, sans les peuples qui l’habitent, tout en poursuivant la destruction des autres espaces naturels autour du bassin amazonien. D’autre part, ils ne veulent pas non plus d’une marchandisation de la nature, qui va à l’encontre de la philosophie des peuples autochtones qui habitent ces territoires.
C’est-à-dire ?
A.H. : De nouveaux sujets de préoccupation émergent, comme la compensation carbone et le nouvel extractivisme, un « extractivisme vert » au nom de la transition énergétique. Telle qu’elle est pensée en Europe, la transition énergétique ne propose pas un changement de modèle mais simplement un changement de source d’énergies dans l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, l’une des solutions promues en Europe est le passage aux véhicules électriques. Le lithium, présent en quantité en Bolivie notamment, est indispensable pour produire les batteries de ces véhicules. Sauf que l’exploitation de cette matière première a des impacts destructeurs sur les écosystèmes et les droits des peuples. C’est important de pouvoir dire ce qui se cache derrière ce type de solution.
On voit apparaître de nouvelles formes de violence vis-à-vis des défenseurs de l'environnement.
Concrètement, quelles actions ont vu le jour en marge du FOSPA ?
A.H. : D’une édition à l’autre, une réflexion sur des initiatives communes se poursuit, des processus d’articulation se font entre les organisations participantes. Pour citer un exemple, des organisations de plusieurs pays amazoniens participant au FOSPA ont travaillé sur un projet de cartographie pour documenter et rendre visible la situation des défenseurs environnementaux. Ces organisations présentent leur travail lors de cette nouvelle édition du FOSPA.
C’est dur d’être militant en Amazonie. Beaucoup d’hommes et femmes, défenseurs environnementaux, sont stigmatisés, harcelés, menacés ou tués. Face à cette violence, le FOSPA veut aussi être un événement festif durant lequel les militants peuvent affirmer leur identité et sentir qu’ils ne sont pas seuls à porter ces combats.
L’Amérique latine reste la région du monde qui compte le plus grand nombre d’activistes environnementaux et de leaders autochtones assassinés, selon l’ONG Global Witness*…
A.H. : En effet ! La situation continue d’être très violente vis-à-vis des défenseurs environnementaux, particulièrement au Brésil et en Colombie. Dans les zones frontalières du bassin amazonien, la situation est encore plus inquiétante en raison de la présence importante d’acteurs des économies informelles et illégales, telles que le narcotrafic, la déforestation ou les mines illégales.
Aussi, on voit apparaître de nouvelles formes de violence. On a vu des cas où les proches des défenseurs de l'environnement sont aussi touchés. Les auteurs de violence savent très bien qu’un défenseur est prêt à prendre de grands risques mais il ne supportera pas qu’on touche à sa famille.
Face à ça, il faut réfléchir à des stratégies de mise à l’abri collectives et ne pas seulement mettre à l’abri les militants. Dans le programme « Ensemble pour la paix en Colombie », soutenu par le Secours Catholique Caritas France, un fond de protection dédié permet d’accompagner des défenseurs et leurs proches, en les aidant à sortir du territoire pour un temps. Cela est d’autant plus important pour les femmes militantes, qui ont tendance, plus que les hommes, à partir avec les membres de la famille dont elles s’occupent (enfants, parents âgés…). Des ateliers de protection et d'auto-protection collective s’organisent aussi au sein des communautés.
Tant que ces territoires seront stratégiques et qu’il y aura une ruée vers ses ressources, notamment celles nécessaires pour le développement d’un « extractivisme vert », les menaces à l’égard des défenseurs ne baisseront pas.
La dégradation de la forêt amazonienne est, en partie, liée à certains de nos comportements.
Mais les pays amazoniens ne manquent pourtant pas de mécanismes de protection pour sécuriser les défenseurs environnementaux et les leaders autochtones…
A.H. : Tout à fait ! Dans les pays d’Amérique latine, il y a une architecture normative assez détaillée, comme l’Accord d’Escazu par exemple. Ces pays ont ratifié un certain nombre de conventions internationales, comme la Convention 169 de l’OIT par exemple, et les ont retranscrites en droit national. Les droits des peuples autochtones sont même garantis par des constitutions de pays amazoniens. Le problème réside dans l’application de ces textes.
Quand un défenseur environnemental est assassiné, dans le meilleur des cas, les exécutants vont être jugés mais pas les commanditaires. On reste dans un contexte marqué par une très grande impunité.
Que faire alors ?
A.H. : Face à cette impunité, des militants font valoir leurs droits auprès d’instances judiciaires internationales comme la Cour interaméricaine des droits de l’Homme.
Aussi, il est nécessaire de promouvoir un changement de regard sur les peuples autochtones habitant en Amazonie. Hélas, il n’y a pas de forte solidarité au sein des sociétés des pays amazoniens vis-à-vis de ces peuples autochtones. Une partie de ces sociétés ont intégré le discours dominant qui présente l’Amazonie comme un réservoir de ressources. D’autres s’inquiètent de l’attribution de droits spécifiques aux communautés autochtones. Or, reconnaître les droits spécifiques des peuples indigènes ne revient pas à retirer à d’autres leurs droits. Au contraire, en défendant la cause des peuples autochtones, tout le monde est gagnant !
Défendre l’Amazonie et les peuples autochtones nous concerne tous, à l’échelle globale. Il est important que nous, sociétés civiles occidentales, exprimions davantage notre solidarité vis-à-vis des peuples autochtones amazoniens et que nous placions dans une logique d’alliance car il s’agit en réalité d’un combat commun. Tout d’abord parce que c’est un enjeu de justice et de respect des droits humains. Mais aussi parce que nous avons notre part de responsabilité. La dégradation de la forêt amazonienne est, en partie, liée à certains de nos comportements et modes de consommation via notamment l’importation de produits forestiers ou agricoles non durables, qui contribue à la déforestation en Amazonie. Pour cela, il faut remettre en question le modèle dans lequel nous nous trouvons.
*Sur les 177 défenseurs environnementaux et leaders communautaires tués en 2022 dans le monde, 88% d’entre eux vivaient en Amérique latine, dont 60% en Colombie, selon le dernier rapport de l’ONG Global Witness, publié en septembre 2023.