Caritas Haïti : « Le pays est au bord de la révolte »
entretien avec Père Jean-Hervé François, directeur de Caritas Haïti.
Secours Catholique : Comment expliquer les manifestations de ces dernières semaines et le ras-le-bol des Haïtiens ?
Jean-Hervé François : Le pouvoir d’achat des Haïtiens est au plus bas. La vie est chère, et ces derniers mois, notre monnaie locale a été dévaluée par rapport au dollar. Conséquence : les gens n’arrivent plus à subvenir à leurs besoins. Les Haïtiens ne vivent pas, ils survivent !
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la publication d’un rapport de la Cour supérieure des comptes haïtienne sur des projets financés par des prêts dans le cadre de l’alliance Pétrocaribe entre le Venezuela et Haïti et qui a permis de récolter 4 milliards de dollars. La Cour soupçonne des fraudes et l’argent n’a pas servi au développement du pays comme c’était prévu.
Les Haïtiens demandent donc des comptes : où est passé l’argent ? Je pense que le peuple se sent bafoué, tandis qu’une élite s’est enrichie sur son dos. Il y a de fait de grandes inégalités en Haïti entre un groupe minoritaire qui vit dans l’opulence et la majorité qui vit dans la crasse.
S.C. : Les manifestations ont viré aux émeutes, on parle d’au moins sept morts. Comment expliquer cette violence ?
J.F. : Le peuple est offensé car il vit dans la misère, et ceci est d’une violence inouïe pour lui. Il répond donc à son tour par la violence en jetant des pierres sur la police qui répond par la répression. En réalité, une vingtaine de morts serait à déplorer... mais c'est difficile à dire.
S.C. : Vous qui êtes aux côtés des populations, diriez-vous que la situation ne s’est pas améliorée depuis trente ans en Haïti ?
J.F. : Je fais le parallèle avec 1986 et les émeutes qui ont provoqué la chute de « Bébé Doc », Jean-Claude Duvalier. Les mêmes causes – la corruption et la misère – provoquent les mêmes effets.
Aujourd’hui, le peuple haïtien est au bord de la révolte. Les gouvernements successifs n’ont pas satisfait ces besoins de base. Les Haïtiens croupissent dans la misère. Ils ne peuvent pas se soigner, par manque d’hôpitaux (les riches vont se faire soigner à l’étranger), il y a des coupures d’électricité et un manque d’eau.
Même à Port-au-Prince, la capitale, il faut compter sur les camions citernes. Les routes sont dans un piteux état, on a des problèmes de télécommunication … Les politiques n’ont pas investi dans le développement du pays !
S.C. : Diriez-vous qu’en Haïti, les ONG – notamment présentes après le séisme de 2010 – développent le pays à la place de l’État ?
J.F. : Nous, à Caritas, nous n’avons pas la prétention de remplacer l’État. Nos projets apportent des solutions, mais c’est minime par rapport aux besoins énormes. Néanmoins, nous montrons ainsi à l’État qu’il est possible de changer les choses. Il y a des solutions.
Mais le gros problème en Haïti, selon moi, c’est la corruption qui mine le développement. Les fonds sont dilapidés ailleurs. L’État devrait s’attaquer à ce fléau.
S.C. : Comment voyez-vous l’avenir ?