« C’est l’incertitude qui règne en Ukraine »
ENTRETIEN AVEC Jacqueline de bourgoing, responsable du pôle asie et europe orientale au secours catholique. De retour d'une mission en Ukraine.
Les personnes déplacées internes sont des femmes et des enfants principalement. Nous avons pu discuter avec un certain nombre d'entre elles. Elles s’inquiètent pour les hommes de la famille, leur mari ou leur père, qui sont restés sur place pour être mobilisables pour la guerre et pour leurs grands-parents qui sont, pour nombre d’entre eux, restés dans leurs maisons. Les personnes les plus inquiètes sont celles qui viennent des zones proches du front.
Les femmes et les enfants sont partagés : d’un côté ils voudraient rentrer retrouver les grands-parents et leurs maisons, mais de l’autres ils hésitent car ils redoutent le danger. Ils sont déchirés. Ils ne parviennent pas à s'apaiser et sont rivés à la télévision et à leur téléphone portable. C’est l’incertitude qui règne.
Les civils ne se font pas à l’idée d’une guerre longue. Tous souffrent, les enfants en particulier subissent le stress des parents. On sent que tous sont profondément traumatisés même si les gens parlent peu. Il y a la nécessité d’un soutien psychosocial très important !
Les civils ne se font pas à l'idée d'une guerre longue.
Nous sommes allés seulement dans l’Ouest dans une zone peu dangereuse. Mais là où elle est passée, l’armée russe a détruit tout ce qui peut aider les populations : les écoles, les hôpitaux, les infrastructures. Des civils nous ont raconté qu'à leur retour les logements occupés par les militaires russes étaient souillés, voire, pour certains, détruits.
L’Est est en guerre : les gens de Donetsk ou de Lougansk ne peuvent pas retourner chez eux et ils le vivent comme une menace permanente car ils ont de la famille là-bas.
Là où nous étions dans l’Ouest, tout fonctionne, notamment les moyens de transport. Cela donne l’impression d’un pays dynamique et on ne voit pas directement la guerre : c’est étrange.
On sent que la société civile dans son ensemble est mobilisée. Par exemple, les institutions religieuses comme les monastères ou les églises ont ouvert leurs portes pour accueillir des déplacés, les écoles servent de centres d’accueil. Les entreprises ont mis à disposition leurs centres logistiques pour accueillir le matériel des Caritas ukrainiennes. La mobilisation de la société est saisissante.
Ils sont épuisés, mobilisés en permanence par l’urgence : ils envoient des convois dans les zones de front, distribuent de la nourriture ou des produits d’hygiène aux déplacés. Ils soutiennent aussi financièrement les civils en leur distribuant du cash, organisent des centres d’accueil et aident enfin les personnes à accéder aux soins.
Ils sont très préoccupés par l’avenir et notamment par l’hiver qui arrive. Ils redoutent un hiver rigoureux sans approvisionnement en énergie ! Sans gaz ni pétrole et avec des infrastructures détruites, comment se chauffer ? Ils disent qu’ils ont la « terreur de l’hiver ». L’anxiété est permanente.
Ils craignent la rentrée scolaire en septembre : comment les enfants vont-ils retourner à l’école avec la peur permanente d’être bombardés ? Très peu d’écoles disposent d’abris sécurisés. Depuis février, l’école se faisait à distance, mais ça ne peut pas durer éternellement.
Ils sont très préoccupés par l'hiver qui arrive.
En Pologne aussi, l’État et la société se sont mobilisés massivement, Caritas Pologne en particulier. Et cela continue : on attend 2 millions de réfugiés en Pologne cet hiver. Là-bas, les Ukrainiens sont hébergés chez l’habitant, dans des familles aidées par l’État. Mais combien de temps cela va tenir ?
Les réfugiés ont un dilemme : faut-il s’intégrer en envoyant les enfants à l’école et en apprenant la langue, ce à quoi les incite l’État polonais? Ils hésitent car ils voudraient retourner chez eux le plus vite possible…
Que ce soit en Ukraine ou dans les pays voisins, le dilemme est grand aussi pour les femmes : elles doivent travailler pour subvenir à leurs besoins. Mais qui va alors s’occuper des enfants, quand les grands-parents sont restés au pays et que les hommes sont au front ?
C’est l’incertitude la plus complète. Il faut savoir qu’au total, près d’un Ukrainien sur quatre a quitté sa maison et vit ailleurs, en « transit ». C’est énorme !