Colombie : le défi de la paix pour le nouveau président
Entretien avec le père Ilario Cuero, référent du programme Ensemble pour la paix/Vamos por la paz, coordonné par le Secours Catholique.
Secours Catholique : Avez-vous de l’espoir à la suite du changement de pouvoir en Colombie ?
Ilario Cuero : Sans être naïf, je suis confiant avec l’élection de ce nouveau président. Les choses ne vont pas changer du jour au lendemain mais je pense qu’il pourrait y avoir un réel changement.
Aujourd’hui, il y a un réel climat d’espérance en Colombie. Il n’y a qu’à voir la nomination de la vice-présidente afro-colombienne Francia Marquez. Nous espérons notamment que le nouveau pouvoir va renforcer les territoires et les communautés pour leur donner plus d’autonomie.
S.C. : Quels sont les défis qui attendent le nouveau président ?
I.C. : J’en vois trois. Il y a bien entendu le processus de paix : il faut que Gustavo Petro donne une orientation claire aux accords de paix signés en 2016. Il y a ensuite le défi économique et la crise sociale. Les inégalités entre riches et pauvres sont énormes et des territoires sont totalement oubliés par l’État. Enfin il y a bien sûr le défi environnemental et la sauvegarde de la « maison commune » pour reprendre les mots du pape François.
S.C. : Où en est-on justement de l’application des accords de paix, six ans après ?
I.C. : Il y a beaucoup à faire car le président précédent de droite, Ivan Duque, a voulu faire voler en éclats les accords de paix. C’est d’ailleurs pour cela que la Colombie a connu une grève générale en 2021 pour contester les politiques gouvernementales et réclamer la mise en œuvre de ces accords. Il faut tout d’abord appliquer la réforme agraire, c’est-à-dire redistribuer les terres à ceux qui ont fui à cause du conflit. Il faut ensuite réinsérer les anciennes FARC (forces armées révolutionnaires de Colombie) à la vie civile. Dans ma région nous avons eu deux années de tranquillité durant lesquelles les FARC ont été démobilisées. Puis il y a eu des dissidences.
Enfin il faut encore faire tout le travail de justice et de réparation. Les victimes attendent un éclaircissement de la vérité et veulent savoir ce qui est arrivé à leurs proches. Ce processus initié par la Commission de la vérité pourra seul panser les blessures des Colombiens. Nous pouvons au moins reconnaitre cela à Ivan Duque : il a laissé travailler la Commission de la vérité qui doit rendre public son rapport fin juin 2022.
S.C. : Comment expliquer que la violence est toujours très présente en Colombie avec notamment 145 défenseurs des droits de l’homme assassinés l’an dernier ?
I.C. : La violence continue à cause des plantations illicites, du narco trafic et des activités minières illégales. N’oublions pas que la pauvreté et les inégalités génèrent de la violence. Parmi les personnes démobilisées, certaines sont retournées vers des groupes criminels et commettent des homicides. La violence est également entretenue par des exécutions extrajudiciaires de jeunes présentés comme appartenant aux guérillas, nommés les « faux positifs ». Ces exécutions ont été utilisées par les précédents gouvernements pour mettre en oeuvre une politique du chiffre dans la lutte contre les guérillas. L’augmentation du nombre d’assassinats est inquiétant. Il prouve que le mal est enraciné.
S.C. : Comment travaillez-vous avec Ensemble pour la paix pour instaurer une paix durable sur le terrain ?
I.C. : Nous sommes convaincus que la paix se construit à partir des territoires. Nous renforçons donc les conseils communautaires et les groupements de femmes et de jeunes et générons des dialogues entre eux. Nous accompagnons aussi les anciens combattants et leurs familles à se réinsérer dans la société. Et puis nous préservons la vie de ceux qui sont menacés. La paix va venir de l’intérieur et doit partir des communautés. Il faut la faire vivre à la base avec le dialogue social.