COP 27: « Le Nord doit payer sa dette écologique envers le Sud »
Entretien avec Lucy Esipila, chargée de plaidoyer à Caritas Africa.
Cécile Leclerc-Laurent : Pourquoi est-ce important que cette COP 27 se tienne dans un pays du Sud, sur le continent africain ?
Lucy Esipila : Les expériences du changement climatique sont vécues différemment au Nord et au Sud. Chez nous en Afrique, nous voyons ses ravages quotidiennement : nos animaux meurent à cause des sécheresses, la vie sauvage disparait, les paysans ne peuvent pas produire de la nourriture. On le voit avec la crise alimentaire en cours dans la Corne de l’Afrique. Le changement climatique pousse les gens dans la pauvreté. Actuellement, en raison des effets dévastateurs de la sécheresse, les éleveurs ne disposent pas d'eau et de pâturages suffisants pour leur bétail.
Par exemple, dans le comté de Kajiado au Kenya, les éleveurs vendent une chèvre à 1 euro et une vache à 5 euros. Auparavant, une vache se vendait entre 150 et 200 euros. Qui va payer pour ces pertes économiques ? De plus, la sécheresse est un facteur prédisposant aux conflits intercommunautaires, dans des contextes où les communautés doivent se disputer les ressources ; cette situation les oblige à migrer ailleurs, causant une pression supplémentaire sur les communautés d'accueil.
Pour nous à Caritas Africa, cette COP 27 est donc l’occasion pour les pays du Nord de montrer leur solidarité envers les pays du Sud.
C.L.-L. : Que voulez-vous dire ? Quels sont les défis de cette COP 27 ?
L.E. : La question des pertes et dommages est l'enjeu de la COP 27. Caritas Africa demandera aux pays riches de mettre en place un mécanisme de financement fiable, accessible et complet pour aider les pays du Sud à faire face aux dommages causés par le changement climatique. Qu'il s'agisse de sécheresses ou d'inondations, les populations perdent tous leurs moyens de subsistance.
Une aide financière serait donc nécessaire pour payer les pertes et construire des infrastructures de réhabilitation. Les fonds peuvent également être orientés vers des investissements dans des systèmes de collecte des eaux de pluie, la construction de barrages et la facilitation de l'accès aux marchés. Cette aide permettrait de faire face à la pénurie d'eau, à la perte de bétail, entre autres impacts du changement climatique.
Bien sûr, il faut aussi continuer à financer les politiques de réduction des gaz à effet de serre et d’adaptation pour se protéger contre les impacts. A Caritas Africa nous pensons par exemple que comme l’agriculture contribue au changement climatique, il faut soutenir l’agroécologie qui permet à la fois d’assurer la sécurité alimentaire des petits paysans mais aussi de limiter les gaz à effet de serre. En Egypte, Caritas Africa suivra donc de très près la décision qui sera prise quant à l'avenir du travail conjoint sur l'agriculture de Koronivia*.
Les parties aux accords de Paris doivent également investir dans les énergies renouvelables en aidant les pays du Sud à y avoir accès. Par exemple, l'Afrique pourrait canaliser ses ressources vers les énergies solaire et éolienne et réduire sa dépendance aux combustibles fossiles, mais elle a besoin d'un coup de pouce financier. L'atténuation du changement climatique doit être une transition juste, car nous reconnaissons que certaines économies dépendent principalement de l'exportation de pétrole brut vers les pays industrialisés à un prix bon marché, et de l'achat de pétrole raffiné à un prix élevé. Cela crée un déséquilibre flagrant dans l'économie politique et pousse les pays africains à s'endetter.
C.L.-L. : Pourquoi l’idée de justice climatique est importante ?
L.E. : Alors que l'Afrique ne contribue qu'à moins de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, les pays du Nord sont responsables d'un pourcentage plus élevé. C'est donc à eux de faire preuve de solidarité avec les pays du Sud qui subissent les impacts négatifs du climat. Mais il n'est pas possible d'avoir une justice climatique sans argent ! Il faut que cela change ! Le Nord doit payer sa dette écologique au Sud. Les communautés souffrent, elles doivent recevoir une compensation financière. Cela doit se faire par le biais de mécanismes transparents et responsables. C'est pourquoi Caritas Africa a participé à l'intersession de Bonn en amont des négociations de la COP27 et vient en Egypte pour influencer les pourparlers.
* L’Action commune de Koronivia pour l’agriculture (KJWA) est une décision historique prise au titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui reconnaît le potentiel unique de l’agriculture dans la lutte contre le changement climatique.