Coronavirus : « En Amazonie, les peuples autochtones risquent d'être décimés »
Entretien avec Mauricio Lopez, secrétaire général du REPAM.
Secours Catholique : Pourquoi la situation sanitaire est inquiétante pour les milliers d’autochtones qui vivent en Amazonie ?
Mauricio Lopez : Sur 450 peuples, 150 sont touchés par le coronavirus. Le Repam tente de comptabiliser le nombre de cas sur des cartes précises. Nous sommes la seule institution qui fait ce travail. Nous avons relevé environ 14 000 contaminations et 900 décès chez les peuples autochtones, 400 000 contaminations et 14 000 décès pour tous les peuples vivant en Amazonie.
Ces chiffres sont cela dit sûrement minimisés car il est difficile de relever le nombre de cas chez les peuples indigènes. La situation est terrible pour ces derniers car ils n’ont pas de prise en charge médicale. Leur droit à la santé est violé : il n’y a dans leur région aucune infrastructure sanitaire pour prendre charge les malades.
Par ailleurs, les peuples autochtones ont un système immunitaire plus faible que les autres peuples d’Amérique latine, ils ne sont donc pas prêts à faire face à ce virus. N’oublions pas que 120 peuples vivent en isolement volontaire ce qui accentue la faiblesse de leurs systèmes immunitaires.
Or, les activités économiques n’ont pas été suspendues en Amazonie : les entreprises minières et pétrolières continuent d’entrer dans les territoires de ces peuples isolés avec le risque d’apporter le virus. Pour toutes ces raisons, on observe que la contamination est exponentielle.
S.C : Quelle est la réponse des autorités face à cette situation ?
M.L : Aucun gouvernement n’était préparé à une telle pandémie. Les réponses diffèrent selon les États mais avec un point commun : les peuples autochtones sont mis au second plan dans la prise de mesures pour faire face aux virus. Je pèse mes mots : il y a une complicité criminelle des gouvernements qui ne mettent pas en place les protocoles sanitaires minimums.
Par exemple au Brésil Jair Bolsonaro va à l’encontre des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en demandant aux habitants de son pays de ne pas prendre en considération les mesures d’hygiène. Il n’y a pas de protocole adapté sur le plan culturel aux peuples autochtones.
Les autorités de l’Amazonie profitent aussi de la pandémie pour intensifier l’activité des industries extractives sur les territoires des peuples autochtones.
S.C : Les communautés autochtones n’ont donc pas été consultées pour apporter une réponse à la crise sanitaire…
M.L : Non et cette crise dramatique met en évidence les exclusions dont souffrent les peuples autochtones en Amazonie. N’oublions pas qu’ils ont leurs propres médecines traditionnelles avec des savoirs ancestraux, mais celles-ci ne sont pas prises en compte par les autorités.
Par ailleurs les sages qui détiennent ces savoirs sont âgés et risquent de mourir avec le coronavirus. L’identité de ces communautés est donc en péril.
S.C : Qu’en est-il des conséquences économiques et sociales de la crise du coronavirus pour les peuples autochtones ?
M.L : On ne connaît pas encore l’impact à moyen et à long terme. Mais déjà on observe que les communautés n’ont plus accès à l’alimentation et qu’elles souffrent de la faim. On observe aussi une augmentation des violences avec le renforcement des activités extractives sur leurs territoires.
Cette situation est grave : on assiste à un potentiel génocide des peuples autochtones par omission et par action de la part des gouvernements.
S.C : Quelle réponse apporte le Repam à la crise ?
M.L : Nous apportons une assistance humanitaire directe : distribution de paniers alimentaires, mais aussi de masques, de savon et de produits d’hygiène. Nous formons aussi les peuples autochtones pour qu’ils se protègent face à la pandémie. Et nous les aidons à mettre en avant leurs initiatives pour répondre à la crise par exemple en renforçant leur réponse sanitaire.
Enfin nous menons un plaidoyer auprès des autorités et de l’ONU pour dénoncer ce qui se passe en Amazonie.