Crise alimentaire en Afrique : « À cause de la mauvaise gouvernance, les populations meurent de faim »
Mathilde Ezih, accompagnatrice du programme "Approche" dans le Sahel pour Caritas Africa.
Cécile Leclerc-Laurent : Comment expliquer que les pays du Sahel et de la Corne de l’Afrique souffrent d’une crise alimentaire aiguë ?
Mathilde Ezih : Il faut d’abord souligner ce paradoxe : les Africains ne se nourrissent plus par manque de produits alimentaires disponibles alors que leurs pays sont habituellement de gros producteurs. Aujourd’hui, des familles sahéliennes et de la Corne de l’Afrique ne mangent plus qu’un seul repas par jour ! Plusieurs facteurs s'additionnent : des facteurs endogènes et exogènes.
Tout d’abord, en raison des changements climatiques, nous avons connu un cumul de pluies anormal cette année. Au Sahel, les cultures ont été abîmées par ce plein d’eau. Le maïs et le haricot qui n’ont d’habitude pas besoin de beaucoup d’eau ont été noyés ! Les fleuves ont été remplis à bord et le bétail a parfois été emporté par les pluies.
Par ailleurs, en raison de la guerre en Ukraine, les paysans ont eu du mal à acquérir les intrants (les produits phytosanitaires, les semences, les engrais) et le matériel agricole qu’ils importaient traditionnellement. De même, le Kenya et le Burkina Faso, par exemple, achètent 30% de leur blé en Russie ou en Ukraine, l’Ethiopie 40% et la Somalie 90%. La chaine d’approvisionnement a été perturbée, et le prix du blé s’est envolé, alors que les Africains font leur pain avec de la farine de blé. Les familles pauvres ont eu du mal à acheter du pain. Pourtant, les pays d’Afrique pouvaient consommer du local au lieu de se rabattre sur les produits manufacturés venant de l’extérieur.
Enfin, il faut noter que le Sahel et la Corne de l’Afrique sont marqués par des conflits armés qui détruisent les champs et la production, empêchant les populations de cultiver.
La nourriture est là mais en quantité insuffisante et la mauvaise gouvernance est à l’origine de la crise alimentaire.
C.L.-L. : Que voulez-vous dire ?
M.E. : La mauvaise gouvernance est en cause. Par exemple, on pourrait fabriquer des engrais sur notre continent plutôt que de les importer. Par ailleurs, les gouvernants achètent le maïs, le haricot et le mil aux paysans mais ils l’exportent ou le revendent plus cher. Il faudrait à l’inverse former et financer les producteurs à fabriquer et entretenir des silos pour stocker les récoltes et conserver la production. Les gouvernements pourraient soutenir les paysans en ne revendant pas plus cher les stocks. À Caritas Africa, nous pensons que le mieux est que les paysans se regroupent en coopératives et stockent eux-mêmes leurs productions.
C.L.-L. : Quelles sont les autres solutions pour lutter contre l’insécurité alimentaire ?
M.E. : Il faut tout d’abord faire pression sur les pays pour qu’il y ait une bonne gouvernance. Caritas Africa porte ce plaidoyer auprès des autorités des pays via ses Caritas nationales .Une meilleure politique de subvention des intrants agricoles est nécessaire. Ils sont actuellement importés alors qu’il serait possible de les produire sur place.
Il faut également sensibiliser les populations à la consommation des produits locaux. De même nous croyons qu’il faille encourager l’agroécologie, une agriculture résiliente qui permet de s’adapter aux changements climatiques. Tout est une question de volonté !