Crise oubliée en Centrafrique : les civils pris en otage

Chapô
La Centrafrique sombre dans le chaos. Le pays connaît une crise humanitaire de grande ampleur, et les attaques de sites de réfugiés, notamment ceux gérés par l’Église, se multiplient. Les partenaires du Secours Catholique tirent la sonnette d’alarme.
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Crise oubliée en Centrafrique : les civils pris en otage

Des maisons incendiées, des sites pillés, des femmes violées : six ans après le début du conflit, les violences sont le quotidien des Centrafricains.

Pour cause, les trois quarts du territoire sont toujours aux mains de groupes armés, à savoir les ex-membres de la Seleka (la rébellion à majorité musulmane qui a pris le pouvoir en mars 2013), les ex-milices anti-balaka (groupes d’autodéfense qui ont pris les armes contre les seleka) mais aussi des mercenaires et groupes armés criminels.

Les attaques particulièrement récurrentes en 2018 et le règne de la terreur poussent les civils à fuir : un Centrafricain sur quatre est déplacé ou réfugié, et un sur deux dépend de l’aide humanitaire. Or, faute de couloirs humanitaires du fait de l’insécurité, les ONGs n’ont souvent pas accès aux civils.

UN Retour à la case départ

« Le monde ne peut fermer les yeux sur ce qui se passe en République centre africaine (RCA). Nous sommes de retour à la case départ !  », a déclaré fin novembre la coordinatrice humanitaire de l’ONU en RCA, Najat Rochdi.

« Il manque des vivres, les écoles sont fermées, les gens sont malades : la situation humanitaire est pire qu’il y a deux ans », déplore un responsable de Caritas Centrafrique.

Les civils renoncent à se faire soigner à l’hôpital situé à 3 km, de peur d’être kidnappés ou attaqués en route.
Régis Bessafi, de Caritas Centrafrique.


À chaque attaque par un groupe armé d’un site de réfugiés, c’est le même scénario : les civils fuient dans la brousse (pas moins de 26  000 personnes à Alindao lors de l’attaque du 15 novembre qui a fait plus de 80 morts) et dorment à l’air libre.

« Les enfants toussent, les déplacés souffrent de diarrhée à cause du manque d’eau potable. Et après être revenus sur le site, il leur faut encore reconstruire les huttes. Caritas a distribué des vivres avec le PAM. Mais les civils renoncent à se faire soigner à l’hôpital situé à 3 km de peur d’être kidnappés ou attaqués en route », explique Régis Bessafi du programme Urgences de Caritas Centrafrique.

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Dans le camp de déplacés "Joseph Mokassa", à Bangui. (Archives 2015)
Dans le camp de déplacés "Joseph Mokassa", à Bangui. (Archives 2015)
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L’Église prise pour cible

Caritas gère de fait plusieurs sites de réfugiés du pays, sur des lieux d’Église, là où les civils se sont mis à l’abri.

Depuis le début de la crise, les civils sont spontanément venus se réfugier sur les sites de l’Église. Mais depuis 15 mois, les groupes armés s’en prennent aussi à l’Église  : elle ne protège plus.

En huit mois, l’an dernier, cinq prêtres ont été tués à différents endroits du territoire (Bangui, Bambari, Seko, Alindao), et les attaques de camps de réfugiés gérés par l’Église se multiplient.

« Les groupes armés vivent du racket des civils en imposant des taxes dans les villes qu’ils contrôlent. Les sites de réfugiés sont donc un manque à gagner pour eux, ils s’en prennent aux déplacés pour les inciter à retourner en ville. C’est la première raison », analyse Mgr Richard Appora, évêque de Bambari.

C’est le politique qui a tiré sur la corde de la religion pour créer l’amalgame.
Mgr Richard Appora, évêque de Bambari.


« La deuxième raison est que les rebelles veulent piller les vivres des humanitaires et les biens de l’Église sur les sites de réfugiés. Enfin il faut tout de même dire que dans de nombreux endroits, la seule autorité présente est celle religieuse, l’État n’est pas là, comme c’est le cas à Alindao. Et ça gêne ! Nous sommes des témoins gênants pour des gens qui veulent piller et violer les droits de l’homme… »

L’Église reste pourtant, estimant que c’est son rôle d’être auprès des plus pauvres, et rejetant tout discours qui décrit une guerre de religion  :  « Des musulmans aussi sont pris en otage par les rebelles ex-Seleka. Nous avons vécu 50 ans ensemble dans la paix. C’est le politique qui a tiré sur la corde de la religion pour créer l’amalgame », poursuit Mgr Richard Appora.

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PK5, quartier déserté après les attaques fréquentes et récentes (Archives 2015)
PK5, quartier déserté après les attaques fréquentes et récentes (Archives 2015)
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« Le business de la guerre »

Sans relâche, l’Église et Caritas poursuivent leur travail de plaidoyer auprès de l’État centrafricain mais aussi de la Minusca, dont le mandat vient d’être renouvelé pour un an, et n’hésitent pas à dénoncer les défaillances des casques bleus.

« Des casques bleus sont complices avec les groupes armés », dénonce Mgr Richard Appora. « De toutes façons, beaucoup de personnes ont intérêt à garder le chaos à cause des ressources de la Centrafrique (or, diamant,…) : les groupes armés pour entretenir leurs troupes, les mercenaires des pays voisins (Tchad et Soudan), mais aussi les puissances occidentales comme la France ou la Russie. Chacun veut sa chasse gardée. Un business de la guerre s’est installé et les civils en sont les victimes. »

Beaucoup de personnes ont intérêt à garder le chaos à cause des ressources de la Centrafrique.
Mgr Richard Appora.


La conférence épiscopale de Centrafrique a d’ailleurs décidé d’organiser un colloque à Bangui dans les prochains mois pour dénoncer ce business de la guerre. Le Secours Catholique aussi fait un travail de plaidoyer sur le sujet.

Et ce, pour éviter que la Centrafrique devienne la « poubelle de l’Afrique » pour reprendre les mots de l’archevêque de Bangui le cardinal Dieudonné Nzapalainga, interviewé par le journal Le Monde, qui conclut  : « Notre pays et ses richesses attirent des convoitises. { Et pendant ce temps}, les pauvres meurent. »

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CÉCILE LECLERC-LAURENT
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Crédits photos : © Elodie Perriot / Secours Catholique
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