Débat : quel revenu universel d’activité pour lutter contre la pauvreté ?

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Le gouvernement a donné lundi 3 juin le coup d’envoi d’une concertation qui doit définir les contours du futur « revenu universel d’activité » (RUA), censé se substituer, d’ici à 2023, à plusieurs prestations sociales. Partenaires sociaux, collectivités territoriales et associations de lutte contre la pauvreté, dont le Secours Catholique, vont être consultés, jusqu'au mois de décembre prochain.
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En charge de la question au Secours Catholique, Daniel Verger souligne les enjeux d'une telle réforme face à Christine Cloarec-Le Nabour, députée LREM, membre de la commission des affaires sociales.

Daniel Verger. Pour le Secours Catholique, l’enjeu d’un revenu garanti est d’être plus efficace dans la lutte contre la pauvreté, afin que chacun ait accès aux droits de base que sont les minima sociaux et que cela permette une sortie durable de la pauvreté. Un revenu socle doit donc donner ce minimum de sécurité autorisant à sortir de la peur du lendemain. Il doit être simple d’accès afin de lutter contre le non-recours et d’un montant suffisant – sous conditions de ressources, mais avec un minimum de critères pour l’obtenir (en allant le plus loin possible vers l’automaticité) –, pour permettre de vivre dans la dignité. 

Christine Cloarec-Le Nabour. Lutter contre le non-recours est effectivement primordial. Et donc faire, techniquement, qu’accéder à ses droits soit plus automatique et plus simple. L’idée du gouvernement est de fusionner le plus de prestations sociales possibles. Sachant qu’avant cela, il faut harmoniser les bases de calcul – ce qui n’est pas simple. Pour l’allocation aux personnes âgées et celle aux adultes handicapés, cela requiert peut-être d’inventer une allocation spécifique. Il y a aussi le fait de rendre les prestations contemporaines, c’est-à-dire de considérer la situation réelle des personnes au moment de la demande, et le principe du “Dites-le nous une fois”, c’est-à-dire de ne pas demander plusieurs fois les mêmes justificatifs. Voilà pour la “tuyauterie” technique. Au-delà, l’enjeu le plus important, à mes yeux, est l’accompagnement. On ne peut pas réformer les prestations sociales sans réformer l’accompagnement. Commence-t-il au moment de la demande de prestations, ou avant, en repérage des ruptures de parcours ? Et à quel moment prend-il fin ? Il faut un suivi, pour éviter de nouvelles ruptures, dans le travail, la formation… 

Nous sommes clairement hostiles à une fusion de la prime d’activité ou des APL, parce qu’elle pourrait entraîner des perdants.
Daniel Verger, Secours Catholique


D.V. En ce qui concerne la simplification, il est essentiel de ne pas se tromper de “simplicité”. La complexité de notre système social s’explique aussi par le fait qu’il répond à des catégories qui n’ont pas les mêmes besoins. Il n’est donc pas si simple, si on veut être juste et pertinent, de simplifier le nombre d’aides. Il faut simplifier d’abord pour l’utilisateur, pas pour l’administration. Et il faut être prudent avant d’aller vers la fusion des différents minima. Nous sommes clairement hostiles à une fusion de la prime d’activité ou des aides au logement (APL), parce qu’elle pourrait entraîner des perdants et une perte de spécificités qui s’avérerait négative. Quant à l’accompagnement, nous sommes conscients qu’un revenu seul ne suffit pas à l’insertion pleine et entière dans la société. Un accompagnement de proximité est essentiel. Et dans la confiance, avec une relation non pas de contrôle ou de “flicage”, mais qui aide vraiment les personnes à trouver leur chemin.

C.C.-L.N. Nous sommes en effet allés jusqu’à de plus en plus de spécificités, puisqu’on a essayé d’individualiser au maximum en prenant en compte toutes les particularités des bénéficiaires. Avec, pour résultat, un système très complexe. C’est pour cela qu’il faut simplifier. Mais je vous rejoins sur la nécessité de le faire avec prudence. 

On craint que si la réforme se fait à budget constant, la tentation soit forte de diminuer les aides au logement pour alimenter d’autres fonds. Ce serait faire des économies sur des catégories de population en situation de fragilité financière. 


D.V. Il faut un socle commun facile à acquérir – et d’ailleurs élargi aux 18-25 ans – et qu’ensuite des spécificités soient reconnues, à partir d’un dossier simple à remplir. Mais il faut veiller à ne pas faire des perdants. Ce risque, encore une fois, on le voit venir avec ce qui nous semble être un objectif caché du revenu universel d’activité, c’est-à-dire la fusion des APL avec les minima sociaux. On craint que si la réforme se fait à budget constant – comme cela se profile –, la tentation soit forte de diminuer les aides au logement pour alimenter d’autres fonds. Ce serait faire des économies sur des catégories de population en situation de fragilité financière. 

C.C.-L.N. Sur l’extension du revenu universel d’activité aux jeunes, je ne suis pas hostile au débat. Cela dit, la Garantie jeune1est un dispositif qui marche de mieux en mieux. Elle est assortie d’un contrat réciproque avec des droits et des devoirs, qui ne semble pas être une barrière pour les jeunes. Ouvrir davantage les critères d’entrée dans ce dispositif peut être une voie pour mieux prendre en compte les difficultés de vie des jeunes, qu’ils soient étudiants, demandeurs d’emploi, etc. Quant aux APL, à mon sens, il n’y a pas de perdants. On a décidé de considérer la situation réelle des personnes au moment du versement : si elles n’y ont plus droit, c’est qu’elles gagnent mieux leur vie. C’est peut-être une question de seuils à revoir…

Le RSA ou son successeur doit être augmenté à 850 euros, le seuil permettant de sortir d’une pauvreté qui confine à la misère. Cette réforme doit se faire dans une logique d’investissement social.


D.V. C’est surtout une question de budget global. Une réforme, pour être efficace quand elle se veut d’ampleur, doit aussi intégrer un budget plus important. D’ailleurs, le coût constant n’est pas possible si on souhaite combattre efficacement le non-recours. Et avec le collectif Alerte, nous demandons que le RSA ou son successeur soit augmenté – progressivement si besoin – à 850 euros, soit environ 50 % du revenu médian, le seuil permettant de sortir d’une pauvreté qui confine à la misère. Cette réforme doit se faire dans une logique d’investissement social.

C.C.-L.N. Grâce à la dématérialisation, à la mutualisation et à l’automaticité, les coûts de traitement des dossiers devraient être réduits. Et on aimerait que cette économie puisse aller vers l’accompagnement et la lutte contre le non-recours. Ces dernières années, les aides sociales ont augmenté de moitié, et en revanche, les crédits ont baissé sur l’accompagnement. C’est de l’investissement social, je suis d’accord avec vous. Ce n’est pas toujours facile à faire comprendre, car les retombées n’en sont pas immédiates. Cela dit, il va falloir à un moment donné que l’on assume et que l’on accorde àce plan pauvreté un minimum de moyens.

Conditionner le revenu universel d’activité à la recherche active d’un emploi nous semble poser l’enjeu de la contribution des personnes de la mauvaise façon.


D.V. Je voudrais aborder le lien du revenu universel d’activité avec l’activité. Sous des dehors de bon sens, il se joue ici un enjeu majeur. Les personnes en précarité ont profondément envie que leur contribution à la société soit reconnue. Et cette contribution est riche, malgré un quotidien harassant fait d’ennuis de santé, de problèmes de garde d’enfants, de démarches administratives, etc. Conditionner le revenu universel d’activité à la recherche active d’un emploi nous semble poser l’enjeu de la contribution des personnes de la mauvaise façon. Il s’agit de travailler à une société où l’on fait confiance aux personnes, afin que, naturellement, celles-ci puissent voir leur contribution reconnue, que ce soit à travers un emploi quand c’est possible, ou des activités (d’aidants, par exemple) méritant d’être mieux valorisées. Il nous semble en tout cas dangereux d’être dans une démarche de conditionnalité. 

C.C.-L.N. Nous, nous sommes aussi confrontés au regard des gens qui travaillent, qui ne gagnent pas énormément leur vie et qui ont un ressenti d’injustice – qu’il faut entendre – entre ceux qui travaillent 35 heures et souvent plus, et ceux qui ne travaillent pas et utilisent le système. Ces derniers ne sont pas nombreux, mais vous savez comme moi que ce ressenti existe. C’est pour cela qu’on ne peut pas enlever le contrôle. Mais on travaille depuis dix-huit mois sur une société de la confiance. Il faut donc que le message soit clair sur ce point : les personnes sont sincères. Mais sans forcément enlever le contrôle.

D.V. Nous comprenons les contrôles légitimes. Ce que nous pointons, c’est que le lien à l’activité ne doit pas être le fruit d’une peur que le revenu socle soit suspendu au bout de deux offres d’emploi “raisonnables” refusées, mais plutôt celui d’une démarche volontaire de la part de la personne  et correspondant au parcours de celle-ci. L’autre enjeu que vous soulevez est celui de l’écart entre les revenus issus du travail et les prestations sociales. La prime d’activité, en théorie, résout cette question. Il reste néanmoins à relever durablement les salaires de base. Tout le monde y a intérêt, y compris les personnes en dessous du seuil de pauvreté, justement pour renforcer cette cohésion sociale. 

C.C.-L.N. Il faut en débattre. J’attends de voir plus d’études sur les impacts d’une telle hausse sur l’économie et les entreprises. Selon certains économistes, ils pourraient s’avérer négatifs. Mais je n’y suis pas fermée. 

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PROPOS RECUEILLIS PAR CLARISSE BRIOT
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Crédits photos : © Gaël Kerbaol / Secours Catholique
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