Des Jeux Olympiques à somme négative pour le climat
Entretien avec Judith Lachnitt, chargée de plaidoyer climat et souveraineté alimentaire à la direction internationale du Secours Catholique.
Secours Catholique : Encore récemment, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris étaient annoncés « neutres en carbone ». Pourquoi parlez-vous d’affirmation trompeuse ?
Judith Lachnitt : Effectivement, les organisateurs des Jeux ont d’abord vanté un événement à « contribution positive pour le climat » et « neutre en carbone ». Cette communication trompeuse laissait entendre que les Jeux permettraient d’améliorer la situation climatique alors même qu’un événement sportif d’une telle ampleur génère des gaz à effet de serre colossaux. L’organisation des jeux olympiques prévoit que 1,5 millions de tonnes de CO2 seront émises lors de l’événement, soit autant que 150 000 Français pendant 1 an. Le transport des athlètes et des supporters représente à lui seul 40 % du bilan carbone des JO !
Parmi les solutions avancées pour réduire l’impact des jeux, les organisateurs misent en fait sur le recours à la compensation carbone. Ce mécanisme consiste à financer des projets dits « positifs » pour le climat pour contrebalancer les « émissions inévitables ». Or, l’efficacité climatique de ces projets est très controversée. Dans le cadre des plantations d’arbres par exemple, les émissions séquestrées peuvent facilement être libérées en raison de maladies ou d’incendies, de plus en plus fréquents du fait du réchauffement climatique.
Surtout, nous alertons sur le fait que certains projets de compensation carbone peuvent se faire au détriment des populations locales des pays du Sud. C’est ce que le Secours Catholique a mis en évidence dans un rapport publié en octobre 2023 analysant les impacts négatifs du projet de compensation carbone de TotalEnergies au Congo Brazzaville. Les témoignages récoltés avaient alors mis en lumière le non-respect des consultations nécessaires et le déplacement des communautés ayant des cultures sur la zone de projet.
Il est donc fondamental que le comité d’organisation des Jeux précise de manière claire et transparente la nature des projets qui seront soutenus.
Enfin, compenser les « émissions incompressibles » de l’événement suppose de réduire tous les postes d’émissions évitables en amont. Or, un rapport récemment publié par Carbon Market Watch et Eclaircies souligne que les enjeux liés aux transports des spectateurs et aux achats non-alimentaires tels que les goodies n’ont pas été intégrés dans la stratégie climatique du comité d’organisation.
S.C. : Comment faire pour réduire à la source les émissions des Jeux olympiques et paralympiques ?
J.L. : L’urgence climatique nous impose de reconsidérer en profondeur ce type d’événements. Plusieurs expérimentations sont possibles, comme le fait d’en limiter la taille car c’est ce qui conditionne actuellement les besoins en infrastructures, le nombre de spectateurs ainsi que les déplacements internationaux associés. On pourrait favoriser la venue de personnes utilisant des transports décarbonés comme le train. La clientèle internationale traditionnellement attendue pourrait suivre les retransmissions télévisées au lieu de se déplacer. Cela s’est fait lors des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo en raison de la crise du Covid, et cela n’a pas empêché que ces Jeux (reportés en 2021) soient fédérateurs.
S.C. : Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris devaient aussi être exemplaires sur le plan environnemental en garantissant l’accès aux transports en commun. Mais là aussi ça coince ?
J.L. : Certaines lignes de métro structurantes comme la 16 et la 17 ne seront finalement pas opérationnelles pour les Jeux Olympiques, des retards qui compromettent la desserte au moment des Jeux. Néanmoins, il faut reconnaître que le déploiement de nouvelles lignes est une bonne nouvelle pour les personnes résidant en dehors de Paris. Il est en effet urgent de proposer aux personnes, notamment celles en situation de précarité des alternatives à la voiture. Cependant, nous dénonçons la décision d’augmenter le prix des titres de transports. Pendant ces Jeux, le pass coûtera 70 € la semaine (on n’est pas loin du prix du pass Navigo mensuel) et le ticket à l’unité 4 €. Cela ne va en aucun cas encourager les visiteurs à recourir aux transports publics. Ils risquent alors de se reporter vers la voiture, ce qui va générer encore plus de gaz à effet de serre. Cette décision est injuste pour les personnes précaires qui prennent souvent le ticket unique pour se déplacer, faute de pouvoir se payer un abonnement mensuel. Cette augmentation tarifaire est donc un très mauvais signal social et environnemental.