En finir avec Wuambushu et construire de véritables solutions pour l’avenir de Mayotte et des Comores
Avec « Wuambushu », le gouvernement français a lancé depuis fin avril à Mayotte une opération de grande ampleur avec pour objectifs affichés la destruction de bidonvilles, l’expulsion de milliers de personnes étrangères en situation irrégulière et le démantèlement de bandes délinquantes.
On ne peut ignorer les difficultés de Mayotte. Mais par le choix du gouvernement d’une option purement sécuritaire ne traitant que des symptômes, l’opération « Wuambushu » ressemble fort à une impasse : elle ne règle aucun problème de fond, accroît au contraire les tensions entre habitants de l’île et aggrave la très grande pauvreté de personnes déjà très précaires. Elle renforce l’amalgame dangereux qui vise à faire croire que l’immigration serait la seule responsable de l’insécurité comme de l’engorgement de services publics sous-dimensionnés.
Il faut bien sûr s’atteler à réduire la délinquance et les violences. Mais celles-ci, notamment la délinquance juvénile, sont en grande partie la résultante de phénomènes d’exclusion.
La résorption des bidonvilles est indispensable à terme mais, à Mayotte comme ailleurs, l’expulsion sans solution ne fait que déplacer et aggraver les problèmes. Les démolitions d’habitats, qui peuvent être mises en œuvre sans jugement depuis la loi Elan de 2018 à Mayotte et en Guyane, entravent le suivi médical et social des familles. Les “relogements” promis, malgré le développement récent de logements sociaux sur le territoire (près de 2 000 logements existants), s’avèrent en grande majorité des solutions d’hébergement provisoires souvent inadaptées à la réalité quotidienne des familles, notamment en termes d’éloignement des lieux de scolarisation des enfants.
Les expulsions du territoire - qui sont fréquemment l’occasion de pratiques illégales telles que le rattachement arbitraire d’enfants à des adultes tiers en vue de leur éloignement - n’empêchent pas le retour, au péril de leur vie, de celles et ceux qui n’ont d’autres choix pour leur avenir et celui de leurs familles que de revenir à Mayotte, l’une des îles de l’archipel des Comores, où elles ont des liens, de la famille, et, du fait des écarts considérables de niveaux de vie entre les îles de l’archipel, l’espoir d’une vie meilleure.
Comme il était à craindre, les premières semaines de l’opération ont eu pour résultat d’attiser les appels à la haine et aux actions violentes.
Les situations de vulnérabilité se sont aggravées, des familles ont été séparées.
L’accès aux services de première nécessité (aux centres de santé et hôpitaux notamment) a été fortement compromis et les répercussions sur le système public de santé risquent d’être importantes : des personnes vont arriver dans les structures de santé dans des situations plus graves et plus compliquées (avec un coût plus important pour le système de santé) ; le risque infectieux va s'accroître, du fait du manque d’accès à l’eau potable et de l’arrêt des campagnes vaccinales ; l’hôpital, déjà à bout de souffle, pourrait se trouver encore davantage affaibli.
Nul ne saurait nier les souffrances de Mayotte et de sa population, les violences du quotidien, les inégalités criantes et insupportables existant avec les autres départements.
Mais nous posons la question au gouvernement : « Wuambushu », et après ? Au-delà d’une approche de court-terme purement sécuritaire maintenant l’île dans une impasse, quelle vision pour les 10 prochaines années, quelles propositions face aux enjeux vitaux auxquels font face Mayotte et son environnement ?
Mayotte est de loin le département le plus pauvre de France : les trois quarts de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté national.
De très grandes inégalités (revenus, taux d’emploi, etc.) traversent la société, selon que l’on est natif de l’étranger, natif de Mayotte, ou natif de l’Hexagone.
Le RSA est minoré de 50% par rapport au montant national ; l'accès à l'allocation logement et l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) est restreint ; l’Aide médicale d’Etat (AME) et la complémentaire santé solidaire ne sont pas effectives à Mayotte.
Malgré la multiplication des « plans », les services publics sont en déshérence : pas assez d’écoles pour scolariser tous les enfants (6 à 7 000 enfants sont déscolarisés) ; peu d’accès à la santé, et un manque flagrant de personnels soignants ; l’accès à l’eau potable est une problématique majeure avec des coupures d’eau quatre fois par semaine. La situation de mal-logement est massive : 57 % des ménages vivent en surpeuplement, 40 % des logements sont en tôle, 30 % des logements ne sont pas raccordés à l’eau, 10 % n’ont pas l’électricité.
La territorialisation des titres de séjour et la nécessité d’obtenir un visa pour se rendre dans un autre département français bloquent dans l'île des milliers de personnes étrangères en situation régulière qui souhaiteraient s’installer dans l’Hexagone.
Il faut donc impérativement construire à Mayotte des conditions de vie plus justes, garantir des services publics dignes de ce nom et une réelle égalité des droits entre Mayotte et l’ensemble du territoire national. C’est la responsabilité du gouvernement français qui ne doit pas chercher à la rejeter sur les plus vulnérables des habitants de l’île.
Il serait cependant illusoire de construire un avenir à Mayotte en ignorant son environnement régional. L’histoire complexe de l’Union des Comores et de Mayotte - le choix de Mayotte comme territoire puis département français - oblige la France à assumer ses responsabilités. Elle se doit de travailler au co-développement de l’archipel plutôt que de créer des fractures supplémentaires. Car il ne pourra y avoir un avenir pour Mayotte sans que soit construit et négocié, avec les Etats voisins de l’Océan Indien, ce réel projet de développement pour l’ensemble de l’archipel, grâce à une coopération harmonieuse entre les territoires de proximité.
Pour Mayotte et pour tous ses habitants, nous appelons les responsables politiques nationaux, locaux, ainsi que tous les acteurs de la société civile, à s’engager dans un tel processus d’avenir, avec une vision stratégique partagée. Nos associations contribuent et contribueront, à Mayotte comme sur l’ensemble des territoires, à la mise en œuvre de réponses concertées dans l’intérêt des personnes les plus vulnérables.
Signataires
Véronique Devise, présidente nationale du Secours Catholique – Caritas France
Henry Masson, président de La Cimade
Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre
Pascal Brice, président de la Fédération des Acteurs de la Solidarité
Antoine Sueur, président d’Emmaüs France
Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty France