Guerre en Ukraine : Alerte à la traite
À la mi-mars, la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, disait disposer d’informations sur « des criminels prenant des orphelins dans des orphelinats en Ukraine et traversant la frontière en prétendant être des parents. »
Le Commissaire européen français, Thierry Breton, exprimait la même inquiétude le 14 mars au micro de France Inter : « Nous avons de grandes craintes à propos de ces orphelins… On commence à voir du trafic, potentiellement des bandes, des trafiquants. »
Et le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains au Conseil de l’Europe (Greta) faisait état « d’enfants fuyant l’Ukraine sans parents (…) et beaucoup d’entre eux sont actuellement introuvables. » La grande majorité des réfugiés ukrainiens (entre 3 et 4 millions de personnes fin mars) sont des femmes et des enfants.
PROFITER DU DÉSARROI
Natalia Holynska, responsable depuis 12 ans de la traite des êtres humains à Caritas Ukraine, parle des personnes qui transitent à Lviv où elle se trouve : « Ces personnes déplacées ont du mal à réaliser qu’elles vivent une guerre. Elles ont du mal à comprendre qu’elles sont désormais des déplacés ou des réfugiés. » Des vies détruites, déchirées, séparées, épuisées avant de passer la frontière.
Une fois à la frontière, les réfugiés sont déboussolés. Il leur est difficile de faire la différence entre ceux qui, dans un élan de solidarité viennent leur apporter aide et réconfort, et ceux qui tentent de profiter de leur désarroi pour abuser d’eux.
En Pologne, certaines femmes se voient proposer un hébergement en échange de faveurs sexuelles.
Thomas Hackl, coordinateur des actions de Caritas Roumanie rapporte le cas d’un enlèvement avorté : « « Il y a quelques jours, un homme s’est approché de la zone où arrivent les réfugiés ukrainiens, au poste frontière de Sighetu Marmatiei (au nord de la Roumanie), relate-t-il.
Il a invité deux jeunes femmes à monter dans sa voiture en proposant un trajet gratuit vers l’endroit où elles voulaient aller. Au dernier moment, la police a arrêté le conducteur qui s’est révélé avoir déjà été condamné pour trafic d’êtres humains. »
« En Pologne, certaines femmes se voient proposer un hébergement en échange de faveurs sexuelles », avance pour sa part Geneviève Colas, coordinatrice pour le Secours Catholique-Caritas France du collectif "Ensemble contre la traite des êtres humains" et membre actif du réseau mondial Coatnet – qui rassemble un grand nombre de Caritas internationales et quelques-uns de leurs partenaires luttant contre la traite.
PRÉVENIR LES ABUS
Geneviève Colas rappelle que ces deux réseaux ont l’expérience de la guerre : « Nous avons accumulé les expériences en la matière dans les conflits au Kosovo, au Liban, en Tchéchénie, dit-elle. Nous nous connaissons déjà et nous avons les contacts nécessaires pour réagir. Notre action a été très réactive.
Dès le début de l’invasion, nous avons sensibilisé les membres des ONG, les bénévoles qui s’engagent auprès d’elles et le grand public. Mais aussi le public à risque. Nous avons des documents et d’autres sont en cours de fabrication pour qu’ils soient compris en ukrainien et prévenir les abus. »
Nous demandons aujourd’hui que tous les enfants réfugiés soient enregistrés et qu’ils bénéficient notamment d’un véritable accompagnement social.
Conscients de ces trafics d’êtres humains, l’Union européenne (dont la France assure ce semestre-ci la présidence de son Conseil), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et le Conseil de l’Europe ont invité les personnes chargées de l’exploitation et de la traite dans les différents pays européens à se rencontrer et à mutulaliser leurs efforts.
Geneviève Colas a participé à ces rencontres et reconnaît que l’État français se mobilise par le biais de sa Mission interministérielle de lutte contre la traite (Miprof) ou de son secrétariat d’État à l’Enfance et à la Famille afin d’accueillir les mineurs isolés et lutter contre la traite des êtres humains.
« Nous agissons sur deux terrains, insiste Geneviève Colas. Auprès des bénévoles de terrain et sur le champ institutionnel en poussant l’État à prendre des mesures. »
étudiants africains
Par ailleurs, en collaboration avec la branche française du Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), le collectif d’associations de lutte contre la traite va mettre en place une batterie « d’outils de sensibilisation en plusieurs langues qui serviront aussi bien aux bénévoles des associations qu’aux professionnels amenés à rencontrer de potentielles victimes : travailleurs sociaux, profs, policiers, magistrats, etc. »
« Nous demandons aujourd’hui que tous les enfants réfugiés soient enregistrés et qu’ils bénéficient notamment d’un véritable accompagnement social, ajoute Geneviève Colas. Une disposition qui servira aux Ukrainiens, mais aussi à tous les mineurs qui fuient d’autres conflits, en Syrie, en Afghanistan ou ailleurs. La France doit accueillir dignement ces jeunes et prévenir leur exploitation. »
Enfin, Geneviève Colas se préoccupe également des autres étrangers poussés à fuir l’Ukraine, notamment des étudiants africains, ainsi que des opposants à la guerre et au dirigeant russe qui s’exilent. « Eux aussi sont vulnérables, insiste Geneviève Colas. Eux aussi doivent être protégés contre toute forme d’exploitation. »
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