Hébergement : l’urgence de faire valoir les droits des sans-abri
En 2017, seulement 10 081 recours DAHO (droit à l'hébergement opposable) ont été déposés. Un chiffre très bas à mettre en regard des 142 000 personnes sans domicile recensées en France par l’Insee dans son enquête de 2012.
Contrairement au DALO (droit au logement opposable) qui s’adresse aux personnes en situation régulière sur le territoire français, le DAHO est utilisable quel que soit le statut administratif du demandeur, le niveau de ses ressources ou sa capacité à habiter un logement. C’est le principe de l’accueil inconditionnel.
Pourquoi, alors, aussi peu de recours sont-ils déposés, quand tant de personnes vivent à la rue, hébergées chez des proches ou en hôtel social et pourraient faire valoir ce droit ?
en danger
Le comité national de suivi de la loi, auxquelles participent les associations (dont le Secours Catholique), dresse, dans son « appel de Grenoble » lancé ce 4 mars, la longue liste des freins et obstacles recensés : manque d’information sur les dispositifs existants, certitude d’un refus de la demande, manque d’accompagnement, inadaptation du parc d’hébergement, peur de la stigmatisation et du contrôle social… L’exercice de ce droit est en danger, affirment les signataires de l'appel.
« Ce qui est impressionnant, souligne René Dutrey, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées - qui pilote le comité de suivi DALO - c’est le décalage entre les droits fondamentaux tels qu’inscrits noir sur blanc dans la loi, et les pratiques sur le terrain. Au lieu de créer plus de logements, de rendre plus fluide le parcours de sortie des personnes sans-domicile, il semble que les pouvoirs publics mettent toute leur énergie à re-prioriser la liste d’attente pour obtenir un hébergement. »
En d’autres mots, les critères d’attribution sont sans cesse durcis, et varient d’un territoire à un autre. « C’est un parcours d’embûches d’un bout à l’autre, s’agace encore René Dutrey. Certaines restrictions mises en œuvre sont parfois complètement illégales, voire ubuesques. On demande par exemple aux personnes d’attester qu’elles vivent dans un squat ! Ou bien à des femmes enceintes de huit mois d’apporter la preuve de leur grossesse ! »
En 2017,
Béatrice est bénévole dans une permanence d’accompagnement au DALO / DAHO du Secours – Catholique, dans les Hauts de Seine. Elle témoigne des « bâtons mis dans les roues » des personnes non Françaises ou sans titre de séjour régulier et qui pourraient pourtant faire valoir leur droit à l’hébergement.
« La commission de médiation a durci ses conditions d’attribution, explique Béatrice. Au départ, pour être reconnu prioritaire DAHO, une attestation du Samu social suffisait, ou bien une inscription sur la plateforme du SIAO, le service intégré d’accueil et d’orientation. Mais désormais, il faut absolument attester de deux inscriptions (à trois mois de distance) sur cette plateforme ».
Problème : il se trouve que, localement, les travailleurs sociaux des EDAS (Espaces départementaux d’actions sociales), chargés d’accompagner les personnes dans leur inscription, ne reçoivent pas celles qui sont en situation de séjour irrégulier, les privant de facto de toute chance de voir leur démarche DAHO aboutir. « Ils expliquent qu’ils sont débordés, déplore Béatrice. Nous avons récemment envoyé un courrier à la direction, demandant l’obtention de rendez-vous pour l’inscription de quelques personnes au SIAO. À priori, la réponse devrait être positive. »
En attendant ce déblocage, Béatrice admet qu’elle et ses collègues de la permanence constituent très peu de dossiers pour des personnes en situation irrégulière. « Quand je monte un recours, je veux qu’il ait une grande chance d’être accepté. Je ne veux pas donner de faux espoirs à la personne alors que je sais que la démarche ne va pas aboutir ».
D’autant que lorsque le dossier est accepté, la bataille n’est pas terminée. C’est ce qui s’est passé pour Loubna, qui vit depuis trois ans avec son mari et leur fils de six ans dans une chambre d’hôtel. En mai 2018, la famille a été reconnue prioritaire DAHO.
recours rejeté
Au terme des six semaines de délai prévues par la loi, aucune solution d’hébergement ne lui avait été proposée. Loubna a donc déposé un recours, avec l’aide des bénévoles du Secours Catholique. Mais elle a renvoyé avec du retard son dossier, dans lequel manquaient ses fiches de paie (elle fait des heures comme aide à domicile et comme agent d’entretien dans l’hôtel où elle vit).
Résultat, son recours a été rejeté. « En un sens, c’est logique, commente, lucide, Loubna. Mais en même temps, c’est très sévère : à mon avis, c’est juste un prétexte pour rejeter mon dossier ».
Pour poursuivre la procédure, Loubna a été mise en lien par le Secours Catholique avec un avocat spécialisé afin d’actionner un autre recours. « Mais il m’a dit que ça allait prendre du temps, au moins un an… C’est long, mais on n’a pas le choix. C’est comme ça pour tout le monde ! ».
La mère de famille a bien du mal à envisager sereinement l’avenir. « Mon fils a des problèmes de concentration à l’école, il va devoir être suivi par des médecins. Et il commence à comprendre notre situation car il parle avec ses camarades de classe. On ne peut plus lui cacher. J’essaie de le rassurer en lui disant qu’on ne va pas rester dans cette petite chambre toute notre vie, que c’est provisoire, et qu’un jour on aura notre maison… C’est la galère, vous savez, c’est difficile. »
Devant la multiplication de ces situations sans issue, René Dutrey s’insurge : « On propose une machine administrative complexe dans laquelle les personnes sans domicile doivent apporter la preuve qu’elles sont dans l’urgence, alors qu’au contraire, on devrait aller au-devant d’elles et les accompagner tout au long de la procédure ».
Pour que cet accompagnement soit effectif, les signataires de l’appel de Grenoble demandent « aux services de l’État d'allouer aux collectivités, aux bailleurs sociaux et aux militants associatifs les financements nécessaires ». Pour René Dutrey comme pour le Secours Catholique, « notre société est devenue une machine à exclure ». Il est grand temps d’inverser la vapeur.