« Il faut créer de nouveaux indicateurs de pauvreté »
À l'occasion de la journée internationale du refus de la misère, ATD Quart Monde, le Secours Catholique-Caritas France, l’Association des Centres Socio-Culturels des 3 cités et une enseignante-chercheuse de l’Institut Catholique de Paris publient, jeudi 17 octobre, un rapport sur les dimensions de la pauvreté en France, résultat d’une recherche menée pendant trois ans en associant les personnes en situation de pauvreté en tant que co-chercheuses. Ce rapport a été remis à Madame Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, Madame Christelle Dubos, secrétaire d’État du ministère de la Solidarité et de la Santé et Monsieur Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté.
L'objectif : défendre la création de nouveaux indicateurs de pauvreté et contribuer à l’élaboration de meilleures politiques de lutte contre la pauvreté aux niveaux national et international.
« Certaines dimensions de la pauvreté sont encore peu ou pas traitées »
Trois questions à Pascale Novelli, statisticienne au Secours Catholique, qui a participé aux travaux de recherche.
Secours Catholique : Qu’apporte cette recherche sur la connaissance de la pauvreté ?
Pascale Novelli : Le but est d'affiner la compréhension et la mesure de la pauvreté. Cette recherche aborde les différentes dimensions de la pauvreté, la manière dont elles jouent les unes sur les autres. Nous définissons chacune d'entre elles et les décrivons, à travers leurs caractéristiques et les interactions qu’elles ont. L'aspect multidimensionnel de la pauvreté est aujourd'hui reconnu, mais certaines de ses dimensions sont encore peu ou pas traitées, comme la maltraitance institutionnelle, les peurs et souffrances ou les compétences acquises et non reconnues. Nous soulignons également deux expériences constantes et transversales de la pauvreté : la dépendance et le combat.
Enfin, ce travail de recherche a mis en évidence une approche systémique : dans la pauvreté, « tout est lié » : les dimensions, liées entre elles, ne doivent pas être prises en compte séparément pour vraiment comprendre la pauvreté. Elles ne sont pas définies comme des causes ou des conséquences car, selon la situation, une dimension peut être une cause ou une conséquence. Par exemple, la dégradation de la santé peut être une conséquence de la pauvreté. Elle peut en être aussi une cause car elle peut empêcher de travailler. Et dans la pauvreté, « rien n’est figé » : la situation de pauvreté peut s’améliorer ou empirer.
S.C. : Comment cette recherche a-t-elle été réalisée ?
P.N. : Nous avons utilisé la méthode du croisement des savoirs. L’équipe de recherche était composée de 4 personnes ayant l’expérience de la pauvreté, 4 professionnels praticiens d’associations ou de structures d’accompagnement individuel et collectif et quatre personnes travaillant dans le domaine de la recherche sur la pauvreté qui ont travaillé ensemble pendant 3 ans. Il est ici question de savoir, et non pas de témoignage de vie. Une expérience ne devient un savoir que quand on y réfléchit, d’abord seul puis avec ses pairs, avec ceux qui vivent les mêmes choses.
Qu’est-ce que cette expérience nous apprend sur la pauvreté, sur la manière de fonctionner de la société ? Pourquoi cela se passe ainsi ? C’est à ce moment-là qu’on construit un savoir d’expérience. Ce savoir, croisé avec le savoir des praticiens et des chercheurs universitaires, permet d’avoir une meilleure connaissance de la réalité. Mais croiser les savoirs ne va pas de soi. Il ne suffit pas de se mettre autour d’une table en faisant croire qu’on est tous à égalité. Cela nécessite des outils et des conditions particulières pour que chaque personne, chaque groupe de pairs puisse apporter son savoir, recevoir le savoir des autres et participer pleinement à la construction collective. L’équipe de recherche a pris le temps et les moyens nécessaires pour que chacun ait pu être co-chercheur avec les autres du début à la fin.
S.C. : Quels sont les objectifs de cette recherche ?
P.N. : Cette recherche montre que la participation de personnes en situation de pauvreté, comme cochercheuses, permet de mieux comprendre la pauvreté. Le croisement des savoirs du vécu, d’action et d’étude permet la production de nouvelles connaissances. Lors de la remise du rapport aux ministres, nous avons évoqué trois objectifs principaux pour la suite :
- Permettre une réelle participation des personnes en situation de pauvreté dans toutes les actions et politiques publiques de lutte contre la pauvreté, et dans l’élaboration des indicateurs de pauvreté.
- Développer de nouveaux indicateurs sur des dimensions moins prises en compte par les indicateurs actuels, développer des indicateurs qui prennent en compte les interactions entre les différentes dimensions.
- Mieux prendre en compte l’ensemble des dimensions de la pauvreté et l’approche systémique dans les actions de lutte contre la pauvreté et dans les politiques publiques.