Jeux Olympiques : Alerte sur un « nettoyage social » de Paris

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Membre du collectif inter-associatif le “Revers de la médaille” qui dénonce les effets négatifs de l’organisation des Jeux Olympiques (JO) en France sur les populations les plus précaires, le Secours Catholique alerte sur un « nettoyage social » de Paris et des autres villes hôtes. L’association déplore un manque de solutions pérennes proposées aux personnes sans domicile expulsées de leur lieu de vie à l’approche de l'événement sportif.
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Entretien avec Lila Cherief, chargée de projets hébergement, logement, domiciliation au Secours Catholique

 

Secours Catholique : À moins de cent jours de l’organisation des Jeux Olympiques (JO) en France, quels effets délétères sur les personnes sans domicile observez-vous ?

Lila Cherief : Nous craignons aujourd’hui un nettoyage social de Paris et de la Seine-Saint-Denis principalement, les deux territoires accueillant le plus d’épreuves, mais également des autres villes hôtes des Jeux Olympiques. Lors des éditions précédentes des JO, il a été documenté un renforcement des politiques d’exclusion des personnes les plus fragiles présentes à proximité des lieux où se déroulaient les épreuves, avec une multiplication des arrêtés interdisant la mendicité et des contraventions contre les vendeurs de rue ainsi qu’une accentuation d’un phénomène de gentrification des villes accueillant les JO.

Ce que l’on constate aujourd’hui dans la région francilienne, principalement dans la capitale et dans le département de la Seine-Saint-Denis, ainsi que dans d’autres villes hôtes comme Lille et Bordeaux, c’est une accélération des expulsions des lieux de vie informels, situés à proximité des sites olympiques ou sur le passage de la flamme olympique.

À Paris, la préfecture se félicite du fait qu’il y ait moins de gros bidonvilles dans la capitale. Or, cela ne veut pas dire qu'il y a moins de personnes à la rue. En réalité, les expulsions à répétition de bidonvilles et de squats ont pour effet d’éloigner les personnes sans domicile des centres-villes, de rompre les liens et l’accompagnement (associatifs, sociaux, médicaux, scolaires etc.) qu’ils ont avec un territoire, et de les contraindre à créer d’autres lieux de vie, généralement plus petits et plus invisibles. Cette stratégie ne règle pas la situation des personnes à la rue, elle ne fait que les repousser ailleurs, en les précarisant davantage.

S.C. : Que deviennent les personnes à la rue expulsées de leur lieu de vie ?

L.C. : Très peu de solutions leur sont proposées. À titre d’exemple, l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels indique que dans 85% des expulsions de lieux de vie informels, aucune solution n’est proposée aux habitants.* Lorsque des propositions sont faites, il s’agit de mises à l’abri temporaire, limitées à quelques nuitées. De surcroît, ces propositions ne concernent généralement qu’une partie des personnes expulsées, celles considérées comme les plus vulnérables par les autorités : personnes âgées, familles avec enfants en très bas âge, personnes avec un suivi médical important etc. Ces rares propositions faites aux personnes expulsées ont seulement pour conséquence de reporter brièvement le retour à la rue des personnes.

S.C. : Qu’en est-il des autres personnes délogées ?

L.C. : À Paris, les personnes vivant à proximité des sites olympiques vont devoir être déplacées. À peu près 200 places d’hébergement vont êtres ouvertes pour accueillir ces personnes à la rue, et seront laissées en “héritage” : c'est-à-dire que les personnes resteront dans ces hébergements même après les Jeux Olympiques. C’est une première bonne nouvelle mais c’est insuffisant au regard du nombre de personnes sans abri dans la capitale. D’après le dernier recensement de la Nuit de la solidarité, plus de 3 000 personnes à la rue ont été décomptées dans la nuit du 25 au 26 janvier à Paris. Alors que dans la capitale, l’hébergement des personnes devant être déplacées est déjà bien avancé, en Seine-Saint-Denis, un travail de repérage de nouvelles places pour héberger les personnes est seulement en cours.

Il est de plus en plus difficile pour les personnes sans abri de trouver une place d’hébergement d’urgence en Ile-de-France.

Pour les personnes qui ne sont pas à proximité des sites olympiques, mais qui seront présentes “sur l’espace public”, et qui devront être expulsées selon la préfecture de Seine-Saint-Denis, il est prévu de proposer une mise à l’abri, qui se fera a priori dans des gymnases, uniquement pendant la durée des Jeux Olympiques. Les conditions de vie dans les gymnases sont déplorables : accès limité à l’eau et aux sanitaires, absence de vie privée et familiale, etc. Pour ces personnes, c’est la double peine : elles sont expulsées de leur lieu de vie en raison de l’organisation des JO, elles sont mises à l’abri temporairement dans des conditions critiquables et, ensuite, elles seront remises à la rue.

S.C. : Une partie de ces personnes à la rue sont également incitées à aller dans l’un des « sas d’accueil temporaires régionaux », mis en place depuis près d’un an pour désengorger les lieux de vie informels et d’hébergement d’urgence en Ile-de-France…

L.C. : Tout à fait ! Les personnes expulsées de bidonvilles ou de squats souhaitant rester vivre en Ile-de-France doivent remplir des critères restreints pour pouvoir y bénéficier d’un hébergement : être employé en CDI ou justifier de plusieurs mois de travail en CDD, suivre une formation professionnelle ou bien faire face à des problèmes médicaux particulièrement graves qui nécessitent un suivi médical dans la région. Nous observons qu’une grande partie des personnes expulsées à l’approche des Jeux Olympiques sont très fortement incitées à rejoindre l’un des sas d’hébergement en région. Entre avril 2023 et novembre, près de 3000 personnes ont été orientées vers l’un de ces sas d’accueil. 70% d’entre eux ont droit à l’asile en France.

La vie à la rue devient de plus en plus difficile à cause de politiques de harcèlement encore plus violentes qu’avant.

L’État indique que cette politique des sas est une politique de solidarité entre les territoires et n’est que complémentaire à une politique d’hébergement qui existerait en Ile-de-France. Pourtant, depuis l’arrivée de cette politique, les personnes expulsées d’un lieu de vie informel n’arrivent que très peu à accéder à un hébergement dans la région francilienne, et cette politique des sas devient la solution miracle à toute demande d’hébergement. Ce qui est particulièrement regrettable, c’est que cette politique n’a pas été accompagnée de moyens supplémentaires permettant d’adapter l’offre locale d’hébergement et de logement pour accueillir les personnes en provenance d’Île-de-France en aval de leur séjour de trois semaines en sas. Les personnes peuvent donc avoir tout quitté en Ile-de-France, pour se retrouver à nouveau en situation d’errance, dans un lieu qu’elles ne connaissent pas. Ces déplacements massifs de populations vulnérables ne peuvent être cautionnés s'ils ne tiennent pas compte des attaches des personnes et de leurs projets, et qu'aucune perspective d'hébergement stable ne les attend en bout de course.

En somme, il est de plus en plus difficile pour les personnes sans abri de trouver une place d’hébergement d’urgence en Ile-de-France du fait de la saturation des dispositifs d’hébergement d’urgence dans la région et du durcissement des critères de vulnérabilité des différents 115 pour être considéré comme une personne prioritaire et être hébergé. Dans le même temps, la vie à la rue devient de plus en plus difficile à cause de politiques de harcèlement encore plus violentes qu’avant.

S.C. : C’est-à-dire ?

L.C. : Nous constatons un durcissement considérable du traitement des personnes sans abri dans les villes hôtes des Jeux Olympiques. A Paris, les mineurs isolés en situation de recours devant le juge des enfants pour contester ce refus d’accès à la protection de l’enfance, qui dorment sous tente, souffrent d’une politique de harcèlement plus sévère. Ils subissent de plus en plus des gestes d’intimidation : ils sont réveillés plusieurs fois par nuit par des policiers qui leur demandent de se déplacer, sans aucune base légale, ou leur confisquent leur tente.

S.C. : Quelles sont les conditions d’accueil dans les « sas d’accueil temporaires régionaux » ?

L.C. : Normalement, les sas d’accueil temporaires doivent assurer plusieurs prestations : l’accueil, l’hébergement, l’accompagnement dans les démarches juridiques et administratives, une prestation de restauration, etc. Cependant, dans les faits, les conditions d’accueil varient d’un sas à l’autre, notamment selon l’opérateur qui le porte. Dans certaines structures, aucun budget pour des biens de premières nécessité comme des vêtements, du linge, des couvertures, des couches pour nourrisson n’a été prévu. Dans ces cas-là, les acteurs de solidarité sont en appui.

On se retrouve dans une concurrence des publics précaires qui peut être source de tensions.

Les personnes hébergées peuvent passer jusqu’à trois semaines dans ces sas d’accueil. Durant ces trois semaines, il y a une évaluation de leur situation administrative. Au bout de ces trois semaines de prise en charge, elles sont orientées vers une solution d’hébergement en fonction de leur situation administrative. Ainsi, les personnes en demande d’asile sont dirigées vers le dispositif national d’accueil c'est-à-dire des centres dédiés à l’hébergement des demandeurs d’asile. Les personnes en situation irrégulière sont orientées vers les 115 locaux pour un hébergement temporaire. Dans les régions où les capacités des dispositifs d'hébergement sont saturées, les personnes risquent de se retrouver en situation d’errance. 

Par ailleurs, dans certaines régions, les personnes sortant de sas ont été considérées comme prioritaires pour se voir accorder un hébergement d’urgence. Dans d'autres régions, certains publics ne sont que très rarement hébergés, par exemple les hommes seuls qui ne présentent pas de “vulnérabilités particulières.” On se retrouve dans une concurrence des publics précaires qui peut être source de tensions et qui créent des incompréhensions pour les personnes et les acteurs qui les accompagnent.

S.C. : Quelles peuvent être les répercussions à long terme de la tenue des Jeux Olympiques sur les personnes sans domicile vivant dans l’une des villes accueillant les épreuves sportives ?

L.C. : Multiplier les expulsions de lieux de vie informels ou déplacer et inciter les personnes sans domicile à s’installer en dehors de leur bassin de vie les précarise davantage. Contrairement aux idées reçues, les personnes sans domicile ont de forts liens avec le territoire où elles évoluent : liens et soutiens familiaux, amicaux, suivi social, médical, insertion professionnelle, scolarisation, engagements associatifs etc. Ces liens sont souvent essentiels pour les personnes précaires, qui s’appuient dessus quotidiennement pour survivre. Toutes ces démarches et liens sont à reconstruire dans un autre lieu de vie, les faisant recommencer à zéro. Nous craignons également que les publics que nous suivons deviennent de plus en plus invisibles, et que nous ayons plus de difficultés à les accompagner. En plus de ces politiques d’expulsion ou de déplacements des personnes, la forte présence policière dans les différentes villes recevant des épreuves va contraindre les personnes, notamment en situation irrégulière, à se censurer dans leurs déplacements. Cela va forcément avoir des conséquences sur l’accès aux droits des personnes - par exemple les personnes doivent pouvoir se déplacer pour aller chercher leurs courriers - et sur d’autres pans essentiels de leur vie comme l’accès à des distributions alimentaires.

*source : Rapport annuel de l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels, octobre 2023

 
Crédits
Nom(s)
Djamila Ould Khettab
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Élodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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