Jeux Olympiques et Paralympiques : vigilance sur l’emploi

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Générateurs d'emplois pour les territoires d’accueil, garants de conditions de travail dignes... En matière d'emploi, les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 à Paris avaient de fortes ambitions sociales. Qu'en est-il réellement ?
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Sophie Rigard, Chargée de projet Accès Digne aux Revenus AU Secours Catholique.

 

 

 

Ces derniers mois, le Secours Catholique alertait sur le risque d’exploitation par le travail, notamment dans le secteur du BTP, que pouvait favoriser la préparation d’événements tels que les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Qu’en est-il aujourd’hui ?

Sophie Rigard : Dans le cadre des Jeux, une charte pour « garantir l’exemplarité sociale » de l’événement a été adoptée. Parmi les engagements, on y lit des mesures pour « placer l’emploi de qualité et les conditions de travail des salariés au cœur de l’impact socio-économique des Jeux olympiques et paralympiques 2024 ». 

De fait, un renforcement des contrôles de l’inspection du travail a pu être observé sur les chantiers liés aux Jeux avec, en moyenne, le passage d’un inspecteur chaque jour sur l’un des chantiers. Plusieurs chantiers ont ainsi été interrompus sur demande de l'inspection du travail, notamment pour des questions de sécurité pour les travailleurs. Ce renforcement a donc été utile ! Se pose maintenant la question de la pérennisation de ces effectifs supplémentaires d'inspecteurs, qui restent encore largement insuffisants, et de la généralisation à d’autres secteurs, comme la sécurité, le nettoyage, l’hôtellerie-restauration, où les abus sont également nombreux. La recherche d'exemplarité ne doit pas s'arrêter une fois les JOP terminés. 

Vous posiez également la question de savoir si les emplois créés dans le cadre des Jeux profiteront aux habitants des quartiers populaires et en particulier aux jeunes. 

S. R. : L’enjeu est particulièrement fort en Seine-Saint-Denis, territoire hôte, département le plus jeune de France métropolitaine mais frappé par un taux de chômage de près de 25% chez les 18-25 ans. Les objectifs fixés par le comité d’organisation et la Solideo en matière d’insertion étaient encourageants. Ainsi, par le mécanisme des « clauses sociales » dans les marchés publics, les acteurs économiques qui candidatent à ces marchés s’engagent à ce que 10% du volume d’heures travaillées soit réservé à des personnes en insertion, c’est-à-dire des personnes éloignées de l’emploi, des jeunes en alternance ou des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Mais nos équipes locales qui travaillent au retour à l’emploi en île-de-France sont plutôt déçues par le résultat. Elles auraient souhaité pouvoir placer plus de personnes face à l’offre de travail générée par les Jeux, mais elles ont été confrontées à un manque de formations proposées pour occuper ces emplois, et, parfois, à des exigences trop fortes pour le public qu’elles accompagnent. Le constat est que ce volet « insertion » n’a pas été suffisamment pensé et anticipé par les organisateurs des Jeux.

Le Secours catholique exprime des réserves sur la mobilisation de 45 000 bénévoles dans le cadre des Jeux. Cela peut paraître paradoxal de la part d’une association qui repose sur le bénévolat. Pourquoi ces réserves ?

S. R. : Le bénévolat est une richesse incommensurable, ce n’est pas le Secours Catholique qui dira le contraire. Il est nécessaire de le reconnaître et de le valoriser mais aussi de le protéger. Car le bénévolat risque d’être dévoyé s’il devient trop souvent du « hope labour » (« travail de l’espoir »), c’est-à-dire tout le travail gratuit que l’on est prêt à réaliser dans l’espoir que cela constitue un tremplin vers l’emploi. Si le bénévolat est bel et bien du travail, l’absence de rémunération ne doit pas être la seule caractéristique le distinguant d’un emploi.

Or dans le cadre des Jeux, le statut bénévole des « volontaires » interroge. D’abord, l’exigence de compétences (management, autonomie dans la prise de décision, maîtrise de plusieurs langues, compétences de statisticien, etc.) est forte. Ensuite, les contraintes imposées en termes de disponibilité, et le niveau de détails, allant jusqu’à préciser  que le volontaire « bénéficie d’un temps de pause d’une durée au moins égale à 30 minutes après des périodes d’activité d’au plus de 4 heures », peut laisser présager une faible liberté d’organisation pour les bénévoles et, potentiellement, une forte intensité de travail.  C’est pourquoi, nous appelons les pouvoirs publics à la vigilance concernant des bénévoles dont le cadre de la mission s’apparenterait plus à un emploi non rémunéré qu’à du bénévolat. 

De même, il nous semble que des statuts comme le service civique ou le volontariat, plus intéressants pour les personnes et plus protecteurs que le bénévolat, auraient pu être proposés. Ces deux statuts offrent en effet une indemnité, même petite, et une protection sociale notamment pour la retraite. Ces statuts seraient plus cohérents avec le niveau d’exigence demandé et constitueraient une réponse plus adaptée aux nombreux « volontaires » (un tiers des 45000) qui ont moins de 25 ans, un âge particulièrement frappé par la précarité en général et la précarité de l’emploi en particulier.

Vous craignez que les Jeux soit finalement synonymes de précarisation du travail. Pourquoi ?

S. R. : Il y d’abord la situation de tous les travailleurs indépendants qui passent par les plateformes numériques pour proposer des services de mobilité ou de livraison. Ceux qu’on appelle les « travailleurs uberisés ». Ils vont être fortement sollicités pendant cette période, et vont sûrement gagner plus d’argent que d’ordinaire. Mais du fait de leur statut précaire, il y aura un manque à gagner pour eux. Cet accroissement de leur activité va en effet surtout enrichir les plateformes numériques. Par ailleurs, l’État français leur refuse une présomption de salariat, et donc les protections juridique et sociale qui vont avec. Il y a une injustice à cela car ils vont nous rendre un grand service pendant cette période de forte demande, mais au final on les laisse dans la précarité.

Un autre sujet sont les dérogations aux règles du droit du travail obtenues pour l’événement. Ainsi, dérogeant à l’obligation légale du repos hebdomadaire, le travail 7 jours sur 7 sera autorisé pendant la durée des Jeux. Cette demande émanait initialement d’Olympic Broadcasting Services (OBS), une filiale du Comité international olympique (CIO) chargée de la captation des images et du son, pour que ses équipes puissent travailler en continu. Or le champ d’application finalement retenu dans le décret est plus large que les activités réalisées par OBS. Il concernera les salariés dont le niveau de responsabilité rend la présence indispensable en continu, employés dans les « établissements connaissant un surcroît extraordinaire de travail […] pour assurer les activités relatives à l’organisation des épreuves et au fonctionnement des sites liés à l’organisation et au déroulement des Jeux Olympiques ». Notre crainte est que cette entorse à un pilier essentiel du droit du travail, devienne à l’avenir de moins en moins exceptionnel. 
 

Lire aussi : Alerte sur un "nettoyage social" de Paris avant les Jeux Olympiques 

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Nom(s)
Propos recueillis par Benjamin Sèze
Fonction(s)
Journaliste
Nom(s)
Elodie Perriot
Fonction(s)
Photographe
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