Judith Lachnitt : « Il faut mettre fin aux inégalités liées au système alimentaire mondial »
Entretien avec Judith Lachnitt, chargée de plaidoyer climat et souveraineté alimentaire au Secours Catholique.
Secours Catholique : Pourquoi le Secours Catholique tient-il à être présent à ces négociations mondiales ?
Judith Lachnitt : L’articulation entre la pauvreté et les questions d’insécurité alimentaire est une préoccupation de longue date du Secours Catholique et le Comité de la sécurité alimentaire offre l’opportunité d'inclure ceux qui sont les plus touchés dans les débats. Parmi eux, on retrouve notamment les petits agriculteurs, les pêcheurs, les peuples autochtones, les femmes et les jeunes. Tous ces acteurs vont pouvoir être présents et partager leurs perspectives pour influencer les recommandations qui seront adoptées par les Etats à l’issue de la session de négociations. Aujourd'hui, les chiffres sont alarmants : une personne sur 11 dans le monde a souffert de la faim en 2023, soit entre 713 et 757 millions de personnes sous-alimentées**. Ce chiffre a augmenté de 152 millions par rapport à 2019, avant la pandémie.
Une personne sur 11 dans le monde a souffert de la faim en 2023.
Cette insécurité est le résultat de plusieurs facteurs : pandémie, conflits, changements climatiques, crises économiques… Nos partenaires internationaux nous confirment également que les politiques commerciales actuelles contribuent aussi à ce problème. La concentration des marchés agroalimentaires conduit à la spéculation sur les prix des denrées alimentaires, rendant ces produits inaccessibles aux populations les plus vulnérables. De plus, ces politiques encouragent l’agriculture industrielle, souvent au détriment de la durabilité des écosystèmes locaux, exacerbant ainsi les crises alimentaires dans des régions déjà fragiles.
S.C. : Que vous rapportent vos partenaires internationaux ?
J.L. : Que ça soit au Pérou, au Sénégal ou en Inde, nos partenaires témoignent que les petits producteurs pâtissent des injustices de ce système alimentaire qui profite surtout aux industries agroalimentaires. Si l’on prend le cas du Brésil, l'agriculture familiale, qui assure pourtant 70 % de l’approvisionnement du marché interne, utilise moins de 25 % des terres agricoles. Les trois autres quarts de la surface agricole du pays sont occupés par des cultures de soja, de café, ou encore de coton, orientées vers l’exportation. Cela crée des inégalités flagrantes d’accès à la terre, à l’eau et aux semences, au détriment des petits agriculteurs.
Il nous semble donc primordial d’encadrer les politiques commerciales internationales pour favoriser des systèmes plus justes et moins émetteurs de gaz à effet de serre.
S.C. : Quelles seraient les autres solutions pour réduire l’insécurité alimentaire au niveau mondial ? Qu’allez-vous prôner à Rome ?
J.L. : Nous prônons une transformation des systèmes alimentaires afin de les rendre plus équitables et inclusifs. Cela passe, entre autres, par le développement de l’agroécologie que nous considérons comme une solution transformatrice qui permet un accès digne à une alimentation produite de manière durable et respectueuse de l’environnement.
Depuis plus de 10 ans, nos partenaires tels que Caritas Kaolack au Sénégal rapportent que l’agroécologie permet de réduire la pollution des sols en limitant l’impact de l’agriculture sur l’écosystème sans diminuer les rendements agricoles. Ils soulignent que l’agroécologie permet d’assurer la viabilité économique des exploitations, en se basant sur des systèmes localisés et en réduisant les charges des paysans grâce à l’arrêt d’achat de pesticides ou d’engrais chimiques.
S.C. : Que peut-on attendre à l’issue de ce Comité de la sécurité alimentaire mondiale qui se clôture le 25 octobre ?
J.L. : À l’issue de cette session, les États adopteront des recommandations politiques. Il est crucial que ces directives ne soient pas simplement des engagements symboliques, mais qu’elles s’accompagnent de mesures concrètes au niveau national. Il y a 20 ans, le Comité de la sécurité alimentaire entérinait le droit à l'alimentation***, un pilier essentiel pour éradiquer la faim dans le monde. Pourtant, des millions de personnes souffrent encore d'insécurité alimentaire. Il est urgent que les États traduisent ce droit en actions concrètes pour garantir à toutes et à tous un accès digne à une alimentation de qualité, bonne pour la santé et l’environnement.
* On parle de sécurité alimentaire quand toute une population dispose en tout temps d’un accès matériel, social et économique à des aliments sains et nutritifs en quantité suffisante pour satisfaire ses besoins énergétiques alimentaires, et qui répond à ses préférences alimentaires, et lui permet de mener une vie active et en santé.
**d’après un rapport sur L’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde présenté dans le cadre de la réunion ministérielle du groupe du G20 chargé de l’Alliance mondiale contre la faim et la pauvreté.
***Le droit à l’alimentation renvoie à celui d’« avoir physiquement et économiquement accès en tout temps à une quantité suffisante d’aliments qui soient adéquats, nutritifs et conformes, entre autres, à sa culture […] et qui soient produits et consommés de façon durable, afin de préserver l’accès des générations futures à la nourriture ».