« L'enfant pauvre n'évolue pas dans une bulle théorique »
Entretien avec Aurélie Mercier, Chargée de projets et de plaidoyer "Solidarités Familiales" du secours catholique.
Secours Catholique : En novembre, l'Unicef a publié le rapport Enfants et adolescents en souffrance. Privations, déficit de protection et rejet social auquel le Secours Catholique a contribué. Pourquoi ce rapport ?
Aurélie Mercier : Chaque année, l’Unicef lance une grande consultation nationale à destination des enfants, en lien avec la Convention internationale des droits des enfants qui prône le droit d’expression de ces derniers. La pauvreté et l’exclusion sociale était le thème choisi pour 2024.
S.C. : Comment le Secours catholique a participé à ce rapport ?
A. M. : On y a participé à deux niveaux. Le premier est qu’ayant connaissance du thème, il nous semblait évident que les enfants qu’accompagnent le Secours catholique avaient quelque chose à apporter car ils sont directement concernés par le sujet. Et puis, on a trouvé important de leur permettre cet espace d’expression. On a donc proposé à plusieurs d'entre eux de participer à cette consultation en répondant individuellement ou collectivement. L’idée était de proposer un regard croisé sur toutes ces dimensions de la pauvreté.
Puis, lorsque l'Unicef a commencé à écrire le rapport et à analyser les données collectées, ils nous ont contacté en tant qu'acteur majeur en France de la lutte contre la pauvreté, pour avoir notre regard sur l’exclusion et la pauvreté des enfants. Avec Mathilde Nugue, qui est responsable du département Analyse des pauvretés et des territoires au Secours Catholique, nous avons pu apporter notre expertise à partir des différents travaux de recherche réalisés par l'association sur l'alimentation, l'hébergement et le logement, l'accès aux vacances et aux loisirs... L’idée était de proposer un regard croisé sur toutes ces thématiques. Avec, à la fois, des données, par exemple sur le nombre d'enfants de ménages précaires qui n'accèdent pas à la cantine scolaire ou qui dorment à la rue ou qui ne partent pas en vacances. Et, à la fois, des propositions concrètes que nous portons pour améliorer les conditions de vie de ces enfants.
S.C. : Que dit le Secours Catholique dans ce rapport ?
A. M. : D'abord qu'il ne faut pas oublier que les parents sont les premiers éducateurs. Lorsqu'on envisage la pauvreté des enfants et les solutions à y apporter, on peut être tenté de se focaliser sur l'enfant en occultant complètement les parents. Sauf qu'un enfant n'évolue pas dans une bulle théorique, il vit au quotidien avec des parents qui pour la plupart se battent pour faire en sorte que leur enfants ait une meilleur vie qu’eux. Pour lutter contre la pauvreté des enfants, il faut donc, en premier lieu, améliorer les conditions de vie de sa famille. Concrètement, cela veut notamment dire qu'il faut faire en sorte qu'il n'y ait plus de familles à la rue, plus de familles coincées pendant des années dans des hôtels sociaux. De même, un enfant qui a faim toute la journée ne peut pas être concentré à l'école. Donc, comment permet-on aux parents d'assurer des conditions convenables d’existence à leurs enfants ? Un revenu suffisant, un logement digne, la possibilité de vivre un vie de famille apaisée car en sécurité financièrement et socialement... Tout cela a une influence sur les enfants, sur leur quotidien mais aussi sur leur avenir.
il manque des espaces de soutien à la parentalité.
Ensuite, nous soulignons l'importance du lien social pour les parents. Comment permet-on à des parents dont la principale préoccupation va être de trouver un hébergement pour le soir ou comment manger ou se déplacer, d’avoir un espace de répit et de soutien ? Un lieu et un moment pour souffler, échanger avec d’autres, et notamment d’autres parents, sans être jugés, sur des sujets qui préoccupent tous les parents comme l’éducation de leurs enfants. La plupart du temps, les ménages en précarité vont trouver des interlocuteurs pour évoquer leurs difficultés matérielles. Mais il manque des endroits de soutien à la parentalité qui permettent à chacun d’apprendre des autres et d’être réassuré dans ces compétences parentales. C'est ce que nous essayons de développer, notamment avec l'ouverture de Maisons des familles, en collaboration avec Apprentis d'Auteuil.
Lire notre reportage sur la Maision des familles de Villeurbanne