Lettre à Gérald Darmanin : « Monsieur le ministre, vous n’aurez vu à Calais que ce que vous aurez voulu voir »
« EST-CE QUE LA PRÉSENCE DE 800 PERSONNES EXILÉES JUSTIFIE QU’ON DÉFIGURE UNE VILLE ? »
Le point de vue de Samuel Prieur, responsable du Secours Catholique du Pas-de-Calais.
Ce qui nous pousse à interpeller aujourd’hui le ministre de l’Intérieur, ce sont les évacuations massives liées à sa visite à Calais le 12 juillet. Deux jours avant sa venue, un démantèlement des campements par la force a eu lieu : des centaines de personnes ont été forcées de grimper dans des bus pour être expulsées de la ville - la plupart sont revenues depuis, par leurs propres moyens, souvent dès le lendemain ; les tentes, données par les associations, ont été détruites ; de nombreux effets personnels ont été jetés à la benne.
J’ai discuté avec une jeune femme érythréenne d’une trentaine d’années, qui m’a dit que toutes ses affaires avaient disparu lors du démantèlement. Cela faisait dix jours qu’elle portait les mêmes vêtements. Elle n'avait plus rien. Certaines personnes ont perdu leurs papiers d’identité lors de ces évacuations, jetés à la benne avec le reste.
Ce qui nous fait réagir, c’est l’impression qu’à peine nommé, il fallait un terrain d’action au nouveau ministre. Et pour cela, Calais est un terrain facile. C’est un lieu symbolique qui attire les médias. Mais finalement, Gérard Darmanin ne fait rien de différent que ce qu’ont fait ses prédécesseurs depuis 25 ans.
Encore une fois, on évacue, on rase, on chasse. Dans le même temps, on réduit à néant tout le socle humanitaire acquis durement par les associations auprès des pouvoirs publics ces dernières années : l’accès à des toilettes, à des douches, à de la nourriture. Ils ont demandé à l’organisme mandaté par l’État pour assurer ces services de les stopper.
En ce moment, des clôtures grillagées sont édifiées autour de tous les terrains qui ont été occupés par les personnes exilées ou qui seraient susceptibles de l’être. On peut se demander si la présence de quelques centaines de personnes exilées dans une commune de 65 000 habitants et un département qui en compte 1,4 million, justifie qu’on défigure une ville et qu’on dépense des millions d’euros pour cela.
En leur rendant la vie impossible, on pousse ces personnes et ces familles à prendre de plus en plus de risques pour passer en Angleterre. On les fragilise alors qu’elles sont déjà fragilisées et on crée chez elles des traumatismes qui auront des conséquences demain.
Ne serait-il pas plus efficace et pertinent d’utiliser ces millions d’euros pour d’autres solutions que la persécution ? Cela nous coûterait certainement moins cher d’organiser un accueil digne, de mettre en place un socle humanitaire : des sanitaires et des lieux pour se poser, pour se laver et pour manger.
Mais, comme les précédents, le nouveau gouvernement préfère déplacer provisoirement la problématique, recréant des zones de non-droit ailleurs dans la ville ou dans le département, sans chercher de solution réelle et pérenne à cette situation en collaborant avec les acteurs de terrain qui depuis plus de 20 ans assurent le suivi humanitaire et humain des personnes de passage.