Lettre ouverte à l'attention du chef de l'État
Par Véronique devise, présidente nationale du secours catholique
Monsieur le président de la République,
Un peu partout en France, les 3000 équipes du Secours Catholique se tiennent, bénévolement, aux côtés des personnes en difficulté, pour leur apporter un peu de chaleur, de réconfort, une aide, un compagnonnage pour qu’elles trouvent la force d’aller de l’avant. Mais de plus en plus, ces équipes témoignent d’un sentiment d’impuissance quand elles sont débordées par la hausse des demandes d’aides, ou quand leurs appels au 115 sont vains. Une forme d’épuisement les gagne quand, sur elles, repose l’accompagnement de personnes ou de familles isolées qui se heurtent à un mur administratif.
Au niveau national, notre association se fait régulièrement le relais des constats et analyses du terrain, toujours dans un esprit de dialogue et de proposition. Mais à notre tour, nous avons le sentiment de nous heurter à un mur.
De parents pauvres de vos orientations politiques, les personnes les plus vulnérables de notre société semblent être devenues une cible.
Lors de votre premier quinquennat, sans faire du sort des plus fragiles la première de vos priorités, vous aviez pris l’initiative d’une Stratégie de lutte contre la pauvreté, et les améliorations sur le front de l’emploi, l’accroissement du parc d’hébergement d’urgence, ou les dispositifs sociaux déployés pendant la crise sanitaire ont évité à bien des ménages modestes de sombrer. Au total, nos statistiques montrent un décrochage des personnes les plus pauvres sur cette période, mais qui eût été pire encore sans les amortisseurs sociaux mis en place.
Deux ans après votre réélection, nous tenons à vous alerter sur la gravité de la situation. De parents pauvres de vos orientations politiques, les personnes les plus vulnérables de notre société semblent être devenues une cible. La cible des économies budgétaires, la cible de discours de plus en plus culpabilisateurs, la cible de politiques qui rendent leur quotidien toujours plus difficile.
La réforme de l’assurance chômage voulue par le Premier Ministre, qui affaiblirait à nouveau les droits des chercheurs d’emploi, n’en est que la plus récente manifestation. Auparavant, la loi « plein emploi » a introduit de nouvelles conditions pour l’obtention et le maintien du RSA. La loi immigration va durcir encore les conditions de vie des étrangers. En janvier, le ministre des Finances a annoncé l’abandon de votre promesse d’un chèque alimentaire, qui devait permettre à nos concitoyens de se nourrir dignement. En février, votre gouvernement a choisi d’affaiblir la loi SRU, alors que les ménages modestes ont tant besoin de logement très social. Il a aussi annoncé la suppression de l’Allocation spécifique de solidarité. Comme si cela ne suffisait pas, les dernières économies budgétaires affectent l’apprentissage, la formation professionnelle ou encore la rénovation thermique des logements, qui est pourtant le meilleur investissement que puisse faire notre pays dans l’optique d’une transition écologique juste.
Trop, c’est trop. Pour le Secours Catholique, cette succession d’annonces hostiles aux personnes vivant la précarité n’est pas acceptable. Les personnes que nous rencontrons consacrent beaucoup d’énergie et de charge mentale à organiser leur survie et à prendre soin de leurs proches. Elles font preuve d’une incroyable résilience, mais elles nous disent aussi leur fatigue et leur colère devant les discours qui les montrent du doigt, qui les tiennent pour seules coupables de leurs difficultés, quand ils ne leur font pas porter aussi la responsabilité des problèmes d’éducation, de sécurité ou d’équilibre budgétaire de notre pays. « On parle de dignité, mais là, on nous enfonce encore plus », réagissent ainsi des personnes en précarité engagées au Secours Catholique dans le Rhône.
La majorité des personnes rencontrées par le Secours Catholique sont des femmes, souvent des mamans. Leur première demande est d’être écoutées, considérées, car la pauvreté isole et peut nourrir un sentiment d’échec ou de honte. Leur seconde demande est alimentaire. Ces personnes aux vies cabossées ne bloquent ni les autoroutes, ni les rails, ni les ronds-points. Le faudrait-il, pour qu’elles soient entendues ?
Si notre pays parvenait à éradiquer la grande pauvreté d’ici 2030, comme il s’y est engagé, il pourrait en tirer une réelle fierté collective.
Monsieur le président de la République, sans que la situation des plus pauvres ne devienne votre unique préoccupation, nous croyons qu’elle devrait vous servir de boussole. Dans son enseignement social, l’Eglise fait de l’option préférentielle pour les pauvres un principe directeur, parce que l’attention portée aux plus vulnérables est la preuve de l’importance réelle qu’une société accorde à la dignité humaine.
Alors que le vent du ressentiment souffle sur notre pays, cette boussole est essentielle. C’est dans cet esprit que nous vous invitons à envisager les dernières années de votre mandat. Faire de la protection due aux plus vulnérables la variable d’ajustement de nos finances publiques serait injuste et inefficace : que l’on songe seulement au sort des enfants quand leurs parents sont privés du minimum pour vivre. Au contraire, le Secours Catholique, comme une majorité de nos concitoyens, reste attaché au contrat social au fondement de la Sécurité sociale : chacun contribue selon ses moyens et bénéficie selon ses besoins. Et si notre pays parvenait à éradiquer la grande pauvreté d’ici 2030, comme il s’y est engagé, il pourrait en tirer une réelle fierté collective.
Pour le Secours Catholique, le rôle du politique est d’aider notre société à traverser les épreuves en étant soudés, solidaires. Il n’y a pas de citoyens de seconde zone. C’est pourquoi nous attendons du politique qu’il rassemble et non qu’il pointe du doigt, qu’il protège et non qu’il rende plus vulnérables. Nous attendons qu’il insuffle un esprit de confiance envers chacune et chacun, et qu’il trace un cap mobilisateur, seul à même de transformer notre société de telle façon qu’elle soit respectueuse de la planète et qu’elle permette à chacune et chacun de vivre dignement.
Les associations continueront de prendre leur part. Mais il est temps de montrer que le gouvernement cherche à renforcer la cohésion sociale et non à creuser les inégalités. Les prochains choix budgétaires à venir devront en être le signe.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le président de la République, l’expression de ma sincère considération. »