Logement social et hébergement d’urgence : « L’État est hors la loi »
Entretien avec Ninon Overhoff, responsable du département « De la rue au logement » au Secours Catholique.
Secours Catholique : Le Collectif des associations pour le logement, auquel appartient le Secours Catholique, dépose ce jeudi deux recours contre l’État devant le tribunal administratif de Paris pour non-respect du droit inconditionnel à un hébergement d’urgence et du droit au logement opposable (DALO). Cette démarche est inédite…
Ninon Overhoff : Oui ! Après des années d’interpellation des pouvoirs publics et d’accompagnement des personnes sans domicile et mal-logées, nous considérons avoir épuisé toutes les voies de recours habituelles. Nous sommes désormais contraints d'agir collectivement à l’échelle nationale pour faire reconnaître la responsabilité de l’État dans la persistance et l’aggravation des crises du logement et de l’hébergement, qui sont les deux faces d’une même médaille.
Cette démarche contentieuse vise à mettre en évidence des carences structurelles en matière de politique de logement social et d’hébergement d’urgence. En clair, l’État est hors-la-loi : il manque à son obligation de faire respecter le droit à l’hébergement d’urgence et le droit au logement opposable (DALO).
On espère que la justice va reconnaître le préjudice subi par nos associations et va ordonner des mesures correctives, telles que la relance de la production de logements très sociaux, le respect des critères de priorité dans l’attribution de logements sociaux, ou encore le renforcement du parc d’hébergement d’urgence.
S. C. : Quelle est la situation sur le terrain ?
N. O. : Elle se dégrade fortement. On compte désormais plus de 350 000 personnes sans domicile fixe, contre moins de 150 000 en 2012. Et près de 100 000 ménages reconnus prioritaires DALO sont toujours privées de l’accès à un logement social.
Au Secours Catholique, on observe cette aggravation du problème du mal-logement : 35% des personnes que nous accueillons sont privées de domicile stable, soit une augmentation de 12% au cours des quinze dernières années. Dans les grandes métropoles, par exemple dans le sud-est du pays, certains de nos accueils de jour sont en sous-capacité. Des lieux, prévus pour recevoir jusqu’à 100 personnes par jour, peuvent accueillir jusqu’à 300 personnes en difficulté ce qui met sous tension les possibilités d’accompagnement des bénévoles. On remarque aussi que les publics rencontrés sont de plus en plus diversifiés : il y a un nombre croissant de jeunes, y compris des mineurs, de femmes seules et de familles avec des enfants en très bas-âge.
S. C. : Comment expliquez-vous une telle détérioration ?
N. O. : La réponse politique est insuffisante. Rapportée au nombre de personnes mal-logées, la dépense publique dans les secteurs du logement et de l’hébergement diminue alors qu’elle devrait augmenter. On peut citer les économies réalisées sur les Aides personnalisées au logement (APL) ou les ponctions répétées des fonds propres des bailleurs sociaux, qui ont moins de ressources pour construire des logements aux loyers compatibles avec les revenus de ménages que nous accompagnons. L’enveloppe budgétaire allouée aux solutions d’hébergement dans la Loi de finances pour 2025 ne permettra pas de couvrir l’ensemble des besoins. Elle devra être rallongée d’au moins 250 millions d’euros d’ici la fin de l’année pour assurer la continuité de l’existant, sans même parler des besoins non couverts.
Parce que les moyens ne sont pas au rendez-vous, il arrive régulièrement que des personnes hébergées soient remises à la rue, ce qui mine le travail d’accompagnement et d’inclusion sociale entamé depuis ces lieux. La qualité de l’accueil et de l’accompagnement en hébergement d’urgence, un secteur déjà peu attractif pour les travailleurs sociaux, en pâtit également. Sur les 203 000 places du parc d’hébergement, au moins 60 000 sont des nuitées hôtelières. Cette offre prend de plus en plus de place mais les conditions de vie n’y sont pas satisfaisantes. Car il est difficile de vivre à l’hôtel, d’y cuisiner, d’y préserver son intimité, d’y élever ses enfants.
La politique du logement et de l’hébergement d’urgence n’est pas vue comme prioritaire alors que, pour le Secours Catholique, elle est au cœur du pacte social. C’est à partir d’un logement décent qu’on peut s’épanouir dans tous les domaines de sa vie. Si on en est privé, c’est compliqué de travailler, d’être en bonne santé ou de s’éduquer.
S. C. : Quelles mesures faudrait-il mettre en place en priorité ?
N. O. : Nous avons besoin de nous doter d’une loi de programmation pluriannuelle qui viendrait apporter des moyens substantiels à la lutte contre le mal-logement avec des objectifs renforcés de production de logements sociaux. On estime qu’il en faut au moins 150 000 par an, dont 60 000 logements très sociaux, alors qu’on en a construit 86 000 l’an dernier.
Il est aussi important de mettre fin aux critères de sélection illégaux d’entrée et de sortie dans l’hébergement d’urgence, qui mettent en concurrence les personnes sans-abri qui sont toutes vulnérables par définition. Pour rappel, toute personne sans-abri a le droit à un hébergement digne jusqu’à ce qu’une orientation adaptée lui soit proposée.
Enfin, nous demandons le respect des objectifs légaux fixés à l’État, aux bailleurs et aux collectivités territoriales dans l’attribution de logements sociaux. Les ménages aux ressources faibles, reconnus prioritaires, doivent être relogés en priorité et ne plus souffrir de discrimination dans l’accès au logement social en raison de leur situation.