Migrants environnementaux : protégeons-les !
SUSELIE, MIGRANTE ENVIRONNEMENTALE : « J’AI PERDU TOUTE MA VIE AVEC LE CYCLONE »
Âgée de 33 ans, Suselie Philus est une migrante environnementale et vit avec sa famille dans un bidonville à Port-au-Prince en Haïti.
« Avant, nous étions paysans à Jérémie, dans l’ouest d’Haïti. Nous mangions les légumes que nous cultivions. Mais le cyclone Matthew de 2016 a détruit notre maison, notre jardin, et tué nos cabris et nos poules. Je ne sais pas ce que sont les changements climatiques. C’est vrai que le cyclone était très violent. J’ai perdu toute ma vie avec lui. Je n’avais pas de quoi me loger. Nous sommes restés un peu à l’hôpital mais à cause de l’épidémie de choléra, nous sommes partis, avec mon mari, nos quatre enfants, ma mère et ma sœur.
Nous sommes venus à Port-au-Prince avec l’espoir de trouver un travail. Je suis lessiveuse et gagne environ 4000 gourdes (35 €) par mois. Mon mari est ouvrier. À Jérémie, je donnais plus facilement à manger aux enfants, ici je n’ai rien à leur donner. Ce qu’on gagne est loin d’être suffisant.
« Tout est plus difficile maintenant »
Nous dormons à huit dans une petite chambre de quelques mètres carrés avec un grand lit. C’est dur car ma mère doit dormir par terre malgré son âge. Et cette chambre nous coûte 2500 gourdes par mois. Nous avons une ampoule pour nous éclairer et nous cuisinons au charbon de bois à l’intérieur même si c’est dangereux. Nous n’avons pas d’eau et devons acheter des bidons et c’est cher. Tout est plus difficile maintenant ! Je regrette la vie d’avant…
On ne peut payer les frais scolaires que pour les deux aînés, les deux derniers de six et quatre ans ne vont donc pas à l’école et restent à la maison. Les enfants pleurent souvent, ils n’aiment pas la vie ici, ils n’ont pas d’espace pour jouer. Ça me rend triste. Je n’ai pas vraiment d’amis, car je suis trop pauvre. Je n’ai pas les moyens d’aider les autres. Souvent les gens ne veulent pas que leurs enfants jouent avec les miens. Heureusement j’ai ma sœur. Et la paroisse et Caritas m’écoutent et m’encouragent. C’est un soutien. Je garde espoir pour l’avenir : j’espère car je vis. »
ENTRETIEN AVEC PATRICIA SPADARO, CHARGÉE DE PLAIDOYER INTERNATIONAL AU SECOURS CATHOLIQUE
Secours Catholique : Pourquoi le SCCF s’intéresse-t-il aux migrations environnementales ?
Patricia Spadaro : Nous assistons actuellement à une destruction de l’environnement à grande échelle, causée par les activités humaines des pays industrialisés, qui pousse de plus en plus de personnes sur les routes de l’exil. Les dérèglements environnementaux renforcent la vulnérabilité des populations les plus pauvres, notamment des pays à faible développement, qui ont une capacité d’adaptation limitée et qui dépendent souvent des secteurs économiques sensibles au climat, comme l’agriculture.
Nombre de populations sont contraintes à quitter leur lieu de vie en prévision ou en réponse à un risque environnemental soudain ou progressif : augmentation du niveau des océans, sécheresses, inondations récurrentes, feux de brousse... Dépossédées de leurs terres et de leurs moyens de subsistance, sans les moyens financiers suffisants ni les informations sur les chemins sûrs, elles migrent dans des conditions difficiles.
Ces migrations contraintes pour des raisons environnementales amènent parfois à franchir une frontière internationale, et les personnes se retrouvent alors dans un vide juridique : aucune protection légale n’existe à ce jour pour les migrants environnementaux.
Le Secours Catholique – Caritas France est convaincu que migrer doit résulter d’un choix et non pas d’une nécessité, et que les personnes migrantes doivent avoir un accès effectif aux droits fondamentaux tout au long de leur parcours.
C’est à ce double titre que le Secours Catholique-Caritas France s’intéresse aux migrants environnementaux : parce que leur migration est poussée par un dérèglement de l’environnement dont ils ne sont pas responsables, et parce qu’ils sont dépourvus de toute protection adapté à leur situation.
S.C. : Qui sont les migrants environnementaux ?
P.S. : Un « migrant environnemental » est toute personne qui, essentiellement pour des raisons liées à un risque environnemental soudain (inondations, cyclones, …) ou progressif (montée des eaux, sécheresse,..), ou à l’anticipation de ce risque, quitte son foyer habituel de façon temporaire ou définitive, et qui pour ce faire, franchit une frontière.
Les migrants environnementaux ne sont pas considérés comme des réfugiés, ne remplissant pas les critères établis dans la Convention de Genève de 1951. Ils doivent être distingués des « déplacés environnementaux internes » qui ne franchissent pas de frontières internationalement reconnues d'un État : ils se déplacent à l’intérieur de leur pays.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime entre 25 millions et 1 milliard le nombre de personnes déplacées à la suite d’une rupture environnementale d’ici à 2050, se déplaçant à l’intérieur de leur pays ou au-delà des frontières de façon permanente ou temporaire, soit une personne déplacée par seconde.
Il est difficile de mesurer ces migrations environnementales, notamment car les différentes raisons de migration s’entremêlent. Prenons un exemple : au Bangladesh, d’après le témoignage de la Caritas locale, partenaire du Secours Catholique, la hausse du niveau de la mer favorise l’introduction des eaux salées dans la terre, phénomène accéléré par des cyclones de plus en plus fréquents. Comme les terres sont salinisées, la production agricole est affaiblie et les villageois désœuvrés sont contraints de migrer, laissant derrière eux une partie de leur famille.
Dans cet exemple, la migration due à des changements dans l’environnement est également une migration pour des raisons économiques, qui peut par la suite devenir une migration pour des raisons familiales si les autres membres de la famille rejoignent celui ou celle qui est partie en quête de nouveaux moyens de subsistance.
S’il y a encore des controverses scientifiques sur la mesure de ces migrations, il est prouvé que dans l’état actuel des politiques migratoires, les personnes qui sont contraintes de migrer essentiellement pour des raisons environnementales le font prioritairement à l’intérieur de leur propre pays ou éventuellement dans leur région. Il n’y aurait que 20% des migrants environnementaux qui s’engageraient dans des migrations environnementales vers des pays dits du Nord.
Il est tout de même essentiel d’accorder une attention toute particulière à ces populations car elles ne rentrent dans aucun cadre légal permettant d’assurer leur sécurité.
S.C : Quelles sont les préconisations du SCCF en vue de protéger ces migrants?
P.S. : Face aux changements climatiques toujours plus menaçants, aux risques environnementaux toujours plus présents et à un droit international lacunaire pour les migrants environnementaux, une double mobilisation s’impose : réduire la dégradation de l'environnement qui représente une des causes structurelles de départ, et rendre les routes migratoires actuelles et futures sûres et accessibles à tous et toutes.
Il est nécessaire de veiller à ce que les efforts mis en place pour réduire les conséquences négatives des changements climatiques et environnementaux n'empêchent pas la migration, mais réduisent les risques de forcer les populations à quitter leur territoire afin que les populations aient le choix de rester mais aussi la possibilité de partir si elles le souhaitent.
Le Secours Catholique – Caritas France met en avant plusieurs préconisations. Tout d’abord, il faut favoriser et répandre le droit à l'information. Car les personnes souhaitant migrer pour des raisons environnementales se trouvent bien souvent confrontées à un manque d’information crucial sur leurs droits et sur l’existence ou non de potentielles voies légales de migration.
Ensuite, les droits fondamentaux des personnes migrantes doivent être respectées dans les pays de transit et d’accueil. Ceci inclut le respect des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Les migrants doivent d’ailleurs accéder aux services de base.
Il faut en outre développer des voies légales favorisant la migration dans la dignité, afin que les personnes désireuses de migrer pour échapper à un risque environnemental le fassent de manière légale et sécurisée.
Ces voies légales se présentent sous la forme de visa, de couloirs humanitaires établis grâce à des partenariats avec des organisations de la société civile, de levée d’exigence de visa à destination d’une population donnée, ou au titre de la réunification familiale, qui permet aux membres d’une famille de rejoindre un proche dans un pays sûr.
Ces mécanismes déjà existants sont souvent trop peu accessibles et conditionnés à des critères très sélectifs auxquels les migrants environnementaux ne peuvent répondre actuellement. Les populations les plus vulnérables doivent être accompagnées et protégées tout au long de leur parcours migratoire.