Peuples autochtones : leurs terres, c’est notre vie

Chapô
RAPPORT. En Amérique latine comme en Asie, les terres des peuples autochtones sont menacées par les entreprises extractives et un modèle agricole productiviste. Or, comme le souligne une étude du Secours Catholique qui vient de sortir, gérer durablement ces territoires, c’est aussi notre affaire à nous. Car ils sont essentiels dans la lutte pour la préservation de la planète.
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Peuples autochtones : leurs terres, c’est notre vie

« Si on déforeste l’Amazonie, c’est pour planter des champs de soja et nourrir les bœufs qui seront ensuite mangés ici, en France. » En une phrase, Aude Hadley, responsable du pôle Amérique latine et Caraïbes au Secours Catholique – Caritas France, illustre la manière dont notre mode de vie est intimement lié à ce qui se passe à des milliers de kilomètres de chez nous.

C’est pourquoi la question posée par l’étude « Tu ne laisserais pas mourir ta terre », que vient de publier l’association, nous concerne au premier chef : comment permettre aux peuples autochtones de protéger et gérer durablement leurs territoires ?

Pour y répondre, l’étude s’est intéressée à la manière dont des communautés autochtones résistent et s’adaptent face aux menaces qui pèsent sur leurs territoires et leurs modes de vie. Elle a été réalisée avec six partenaires du Secours Catholique présents en Amérique latine (Bolivie, Pérou) et en Asie (Bangladesh, Inde, Myanmar et Vietnam).

 

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Qui sont les peuples autochtones ?

Il n’existe pas de définition unanimement reconnue des « peuples autochtones ». Celle qui fait référence est néanmoins celle proposée par José Martínez Cobo aux Nations unies en 1971 : « Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l’invasion et avec les sociétés précoloniales qui se sont développées sur leurs territoires, s’estiment distinctes des autres segments de la société qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires.

Elles constituent maintenant des segments non dominants de la société et elles sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques. »

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Les fils de la forêt

Sur les deux continents, le défi majeur des peuples indigènes consiste à faire reconnaître leur droit à vivre sur la terre de leurs ancêtres. Terres qui, dans leur culture, appartiennent à tous, afin que chacun puisse en tirer les ressources nécessaires à sa subsistance, à travers la pêche, la chasse, la cueillette ou des cultures.

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Une femme de l’ethnie garo cultive sa terre dans le village de Bilpar, au nord du Bangladesh.
Une femme de l’ethnie garo cultive sa terre dans le village de Bilpar, au nord du Bangladesh. © Badhon Chiran/Caritas Bangladesh
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« Notre terre, c’est notre vie », résume Apurbo Mrong, directeur régional de Caritas Bangladesh pour la région de Mymensingh, au Nord du pays. Il explique avec fierté appartenir à l’ethnie garo. 

Fin janvier, des Garos de la forêt de Madhapur, dans le centre du pays, ont manifesté contre le gouvernement. Ce dernier tente de les expulser de la forêt, dont il a fait une réserve naturelle. « En 1984, ils ont expulsé deux villages de cette forêt et, à la place, ils ont construit une zone d’entraînement pour l’armée de l’air ! » s’insurge Apurbo Mrong. 

« La terre est comme notre mère », explique-t-il. « Nous n’avons pas besoin de papier pour prouver l’identité de notre mère ! Nous sommes les fils de la forêt. Sans elle, nous ne pouvons pas vivre. C’est la terre où nous vivons depuis des siècles, où se trouvent nos maisons et les tombes de nos ancêtres. »

Nous sommes les fils de la forêt. Sans elle, nous ne pouvons pas vivre.
Apurbo Mrong, Bangladesh
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Manifestation de Garos contre la transformation de la forêt de Madhapur en réserve naturelle. Bangladesh, 2016. © Mithun Jambil/Caritas Bangladesh
Manifestation de Garos contre la transformation de la forêt de Madhapur en réserve naturelle. Bangladesh, 2016. © Mithun Jambil/Caritas Bangladesh

 

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Les peuples autochtones ont-ils des droits spécifiques ?

La Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), ou Convention relative aux peuples indigènes et tribaux, définit les droits des peuples autochtones et permet de protéger leurs modes de vie traditionnels, via la sauvegarde du travail, de leur culture et de l’environnement.
Ce texte, juridiquement contraignant, est entré en vigueur en 1991 et a été ratifié par une vingtaine de pays, majoritairement en Amérique latine. Il reconnaît le lien qu’entretiennent les peuples autochtones à la terre et prévoit l’obligation de les consulter avant d’exploiter les ressources de leurs territoires.
Jusqu’à aujourd’hui, la France n’a pas ratifié ce texte, refusant ainsi de reconnaître les spécificités des modes de vie des Amérindiens de Guyane française.
Autre texte clé : la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007, mais peu appliquée à l’heure actuelle.

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Des cultures menacées

En Amérique du Sud, les indigènes (terme qu’ils revendiquent) sont régulièrement confrontés aux entreprises pétrolières et à celles de l’agro-alimentaire, désireuses d’étendre leurs activités. Ces dernières respectent rarement l’obligation qu’elles ont de consulter les populations avant de s’installer sur leurs terres. Et n’hésitent pas à recourir à la force pour s’imposer. 232 défenseurs des territoires autochtones ont ainsi été assassinés en Amérique latine entre 2015 et juin 2019 (source : Nations unies).

« Au Pérou, l’association SAIPE* [Service agricole pour la recherche et le développement économique], accompagne les jeunes Awajuns qui ne connaissent pas les droits qu’ils ont sur leurs terres », explique Joël da Costa, référent Amazonie pour le Secours Catholique. « Un travail de délimitation du territoire a été fait avec les populations concernées mais, jusqu’à présent, le territoire awajun n’est pas reconnu par l’État. »

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Derrière la question de la terre, c’est la possibilité de pérenniser un mode de vie qui dépend intimement de la nature qui est en jeu. « Si leur territoire ne leur permet pas de vivre, il va y avoir un exode vers les villes », souligne Joël da Costa. Même constat au Bangladesh : « Quand les terres sont menacées, les gens migrent vers les villes », reconnaît Apurbo Mrong. Là, ils peuvent subir violences et discriminations. À cela s’ajoute une perte progressive de la culture. « Je parle moins bien la langue garo que mon père et mes enfants la parlent moins bien que moi. »

Les populations indigènes ont le droit à l’autodétermination et au respect de leurs modes de vie.
Carmelo Peralta, Bolivie
 

Pour le Secours Catholique et ses partenaires, il n’est pas question d’idéaliser un mode de vie traditionnel. Il s’agit, en revanche, de reconnaître que « les populations indigènes ont le droit à l’autodétermination et au respect de leurs modes de vie », comme le dit Carmelo Peralta, du CIPCA*, un centre de recherche agricole bolivien.

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Un même monde pour tous

Pour ces peuples, la nature est avant tout un bien commun. C’est ce que Thaï-Son Dao, chargé de projets et de partenariats Asie du Sud-Est au Secours Catholique, a pu observer au Vietnam, chez les H’re. « La communauté souhaite que la forêt reste une propriété collective. Les gens ne veulent pas individualiser les tâches, de peur que cela ne suscite des envies individuelles trop fortes. » 

Pourtant, il existe un réel besoin d’argent liquide pour accéder à l’éducation, aux transports en commun, à la santé et pour améliorer le quotidien. Le rapport « Tu ne laisserais pas mourir ta terre » montre les tensions qui émergent, en Asie comme en Amérique, avec la diffusion d’un modèle occidental de développement.

Cela conduit les peuples indigènes et ceux qui luttent pour leurs droits à s’interroger en permanence : comment permettre aux communautés de se développer sans renier leurs modes de vie et leur culture ? Il s’agit, dès lors, de trouver un modèle alternatif de développement à celui que certains gouvernements et des groupes privés tentent d’imposer.

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Culture de riz au Vietnam.
Culture de riz au Vietnam. © Paloma Cerdan/Secours Catholique
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« Au Vietnam, explique Thaï-Son Dao, des entreprises se sont associées avec le gouvernement local pour distribuer des semences hybrides de manioc dans les villages des H’re. La première année, les semences sont données gratuitement. Elles permettent des récoltes importantes au début. Mais comme elles sont stériles, l’année suivante, il faut les acheter. Les gens entrent alors dans le cercle vicieux du crédit. »

De plus, les cultures hybrides vont de pair avec l’usage de pesticides chimiques, qui ont des impacts négatifs sur la santé des humains, des animaux, et qui appauvrissent progressivement les sols.

Les H’re, soutenus par le CENDI* (Institut de développement de l’entreprenariat communautaire), expérimentent désormais des cultures de goyave et de citron, au cycle de production relativement court, mais plus respectueuses des sols, pour vendre leurs produits en dehors du village.

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Faire alliance avec les peuples autochtones

Le défi, pour le Secours Catholique et ses partenaires présents sur place, est de trouver une position ajustée et d’être l’allié de ces communautés : les soutenir, sans décider à leur place. « Mais le fait que nous fassions alliance avec les peuples autochtones ne dédouane pas les autres acteurs de se préoccuper de la manière dont sont gérées les ressources naturelles », avertit Aude Hadley.

Ainsi, cette étude a fait émerger plusieurs recommandations à l’attention des décideurs politiques, au niveau international, national et local. Parmi elles, la mise en œuvre de l’accord de Paris, à l’échelle internationale et à l’échelle de chaque pays, dans le respect des droits des peuples autochtones.  

Le Secours Catholique demande également la reconnaissance et l’application des instruments légaux relatifs aux droits des peuples autochtones : la convention 169 de l’OIT ainsi que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Car notre survie à tous en dépend. Si ces peuples ne représentent que 5 % de la population mondiale, 40 % des terres naturelles de notre globe se trouvent sur des territoires qu’ils gèrent. La lutte pour la sauvegarde de leurs terres est donc aussi une lutte pour que ce monde reste respirable. Pour nous tous.

 

* Les organisations citées sont toutes des partenaires du Secours Catholique – Caritas France.

Crédits
Nom(s)
AURORE CHAILLOU
Nom(s)
© Crédits photos : Gaël Kerbaol/Secours Catholique, Badhon Chiran/Caritas Bangladesh, Mithun Jambil/Caritas Bangladesh, © Paloma Cerdan/Secours Catholique, Xavier Schwebel/Secours Catholique
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