Plan pénitentiaire : développer de réelles alternatives plutôt qu’enfermer
Jean Caël, responsable du département Justice et prison du Secours Catholique
Secours Catholique : Que pensez-vous du projet de loi présenté au Conseil des ministres courant septembre par la ministre de la Justice Nicole Belloubet et actuellement discuté au Sénat ?
Jean Caël : Les intentions sont là, mais pas les moyens. Certes, la ministre souhaite « développer des solutions alternatives à l’emprisonnement pour les peines courtes ». Premièrement, elle veut supprimer les peines de moins d’un mois. Mais cela ne concerne que très peu de personnes.
Ensuite, elle propose le bracelet électronique pour les peines allant d’un à six mois. Encore faut-il que ce dispositif inclue un accompagnement social pour lever les freins à la réinsertion.
Enfin, la ministre évoque 2000 places dans des SAS (structures d’accompagnement vers la sortie). Mais attention, ce n’est pas une alternative puisque c’est toujours de l’emprisonnement ; il n’y a pas de levée d’écrou.
En principe, les personnes détenues pourront circuler à l’intérieur d’un périmètre défini pendant la journée et seront enfermées dans leur cellule le soir. L'administration pénitentiaire espère que les services publics comme Pôle emploi ou la CAF pourront se déplacer pour venir à l’intérieur, mais tout reste à négocier.
D’ailleurs, nous espérons que ces SAS ne seront pas éloignées des villes, afin de mieux réinsérer. Et puis cette annonce en cache une autre : en plus de ces 2000 places, la ministre veut aussi construire 5000 autres places « classiques ». La prison reste donc la peine de référence.
S.C : La construction de nouvelles places n’est pas la solution ?
J.C : Non. D'une part, cela coûte cher. La Cour des Comptes dénonce l'impact calamiteux sur le budget de l’État (jusqu’à 310 000 € la place). Ensuite, le discours affiché est de lutter contre la surpopulation carcérale (150 % dans près d’un tiers des établissements pénitentiaires).
Mais nous avons constaté que dans tous les pays d’Europe qui y ont eu recours, la construction de places est toujours accompagnée d’une augmentation du nombre de personnes incarcérées.
Enfin, la prison est la meilleure école de la récidive : plus de 60 % des sortants de prison sont condamnés à nouveau dans les cinq ans à de l’emprisonnement ferme, alors qu’ils ne sont que 34 % en cas de travaux d’intérêt général.
On le voit : il n’y a rien de mieux que les alternatives (travail d’intérêt général, placement extérieur, …) et les aménagements de peine (permissions de sortir, libération conditionnelle,...).
S.C : Comment faire de la prison un lieu pour mieux préparer la réinsertion dans la société ?
J.C : On n’apprend pas à se réinsérer entre quatre murs. La prison désinsère : les gens la quittent en sortie sèche, sans accompagnement à la réinsertion. Cela entraine une baisse d’estime de soi, une rupture des liens. D’ailleurs le taux de suicide est sept fois plus important en détention qu’à l’extérieur.
Une alternative peut au contraire aider à redonner une conscience de soi. Plus les personnes détenues auront des lieux d’autonomisation, moins elles récidiveront.
Il faut un environnement de confiance pour toute personne, là où le système carcéral produit de la méfiance. Quelqu’un bien dans sa peau va poser des actes positifs : c’est logique.
D’ailleurs, toutes les personnes détenues qui ont répondu à notre questionnaire sur l’autodétermination - lancée à l’échelle européenne avec d’autres Caritas - le disent : elles veulent plus de liens avec le monde extérieur, être en relation, connectées à leur famille.
Elles veulent aussi faire du sport, pouvoir se défouler. L’une dit : « toute activité permet d’éviter les pensées négatives, stériles, qui empêchent de se redresser ». Enfin, elles souhaitent travailler pour mieux exister.
Il faut dire qu'actuellement, le droit du travail n’est pas appliqué en prison : les personnes détenues sont presque exploitées, sans contrat, elles perçoivent un salaire de misère. Comment alors les réconcilier avec la valeur travail ?
Enfin, les personnes détenues souhaiteraient pouvoir choisir : « cela permettrait de garder intacte la faculté de décider lors du retour en liberté » dit l’une d’entre elles.
Cela figure d’ailleurs dans les recommandations du Conseil de l’Europe pourtant non appliquées en France : « les détenus doivent être autorisés à discuter des questions relatives à leurs conditions générales de détention et encouragés à communiquer avec les autorités pénitentiaires à ce sujet. »
Il faudrait faciliter ces lieux de concertation et d’échange. Osons changer la prison !