Projet de loi immigration : « La dérive des débats nous inquiète beaucoup »
entretien avec Laurent giovannoni, responsable du département accueil et droits des étrangers au secours catholique
Secours Catholique : La question migratoire revient en force depuis quelques semaines dans le débat politique. Qu’en pensez-vous ?
Laurent Giovannoni : La surenchère actuelle et la dérive des débats nous inquiètent beaucoup avec une succession de déclarations et de propositions toutes plus dures les unes que les autres qui viennent de certains membres de la majorité ou des Républicains. Toutes ces propositions semblent avant tout mues par des enjeux politiciens et non par la nécessité de répondre à des problèmes qui ne sont pas exposés avec sérénité.
Beaucoup de ces prises de position anxiogènes veulent faire croire que l’immigration serait hors de contrôle. Or, c’est totalement faux ! Il y a quatre motifs de délivrance d’un titre de séjour en France : les études, le travail, la famille et le droit d’asile. Comme le montre François Héran, l’augmentation récente de l’immigration en France est principalement due aux étudiants (ce qui est plutôt positif) et au travail (et cela répond à un réel besoin de main d'œuvre de plusieurs secteurs de l’économie). La demande d’asile, si elle augmente, reste modeste à l’échelle européenne, et le rapprochement familial, lui, est plutôt en baisse.
Donc l’essentiel des déclarations demandant de nouvelles mesures législatives reposent sur un travestissement de la réalité nourri par des craintes disproportionnées. De fait, un nouveau projet de loi est selon nous inutile.
S. C. : Pourquoi ?
L. G. : Parce que le cadre législatif actuel est largement suffisant pour permettre aux pouvoirs publics de remplir les objectifs qu’ils se donnent, à savoir le contrôle de l’immigration et l’insertion des personnes migrantes dans notre société.
Plutôt que de changer la loi tous les deux ans, il serait plus opportun de répondre à la désorganisation et au manque de moyens des administrations en charge du traitement des dossiers et de la mise en œuvre de la politique d’accueil.
Il serait également plus utile que soient développées dans les territoires des instances de concertation entre les administrations, les élus locaux et les acteurs de la société civile afin d’aborder ensemble les questions qui se posent réellement et d’y apporter des réponses pragmatiques et réalistes.
S. C. : Le débat sur l’immigration n’a donc pas lieu d’être ?
L. G. : Si, il faut parler d’immigration, mais d’une autre manière, en sortant ce sujet des enjeux politiciens. C’est pourquoi nous soutenons pleinement la proposition d’une convention citoyenne sur la migration qui permettrait aux citoyens de s’approprier le sujet dans sa diversité et sa complexité. Et nous encourageons chacun à signer la pétition demandant sa tenue. Les échanges permis par cette convention seraient basés sur une analyse objective des faits et des données. Cela permettrait de déconstruire les peurs, d’apaiser les tensions et de proposer de façon plus sereine des orientations pour les années à venir.
Il y a urgence à apaiser le débat en l’élevant au-dessus de toutes les instrumentalisations politiques auxquelles on assiste. Nous appelons le gouvernement à soutenir la mise en œuvre de cette convention citoyenne sur la migration, outil qui a démontré toute sa pertinence et son intérêt.
Signer l'appel pour une convention citoyenne sur la migration