Regard sur la crise du Covid : le Secours Catholique recueille l'expérience des plus pauvres
« Au début du confinement, j’ai été très angoissée, jusqu’à ressentir des symptômes physiques, confie Christèle, 50 ans, habitante d’un quartier populaire de Tours. Je m’en faisais beaucoup pour mes proches, j’absorbais toutes les infos, et je n’avais plus de vie sociale. Je vis seule. Mais, là, la solitude m’était imposée. J’ai mis du temps à arriver à structurer mon quotidien, à trouver le sommeil, une alimentation normale. C’était comme un arrêt dans ma vie. Ça me démoralisait ».
Impliquée au Secours Catholique, celle, qui, selon ses mots, sort d’une « vie fracassée », n’a pas hésité, une fois le déconfinement enclenché, à venir s’exprimer dans le cadre des « Ateliers du monde d’après » organisés par le Secours Catholique d’Indre-et-Loire.
Au gré d’une vingtaine de séances de réflexion en petit comité, les participants ont été invités à partager émotions, craintes et espoirs ressentis pendant le confinement et à avancer des propositions et des idées d’engagement pour l’après crise, notamment autour du lien social, dont l’importance a été mise en lumière par le confinement.
« Ces réflexions vont aussi nourrir de futures démarches de plaidoyer auprès des élus locaux sur des sujets de préoccupation des personnes que l’on accompagne, telles que la mobilité, la fracture numérique ou encore l’écologie » explique Ursula Vogt, déléguée du Secours Catholique d’Indre-et-Loire, à l’initiative de ces ateliers.
« Il faut revoir la fracture énergétique, numérique, culturelle et développer le soutien scolaire, estime ainsi Christèle, car dans les quartiers prioritaires, ces manques ont des conséquences. Beaucoup de familles ont été directement impactées, certaines n’avaient pas toujours suffisamment de quoi se nourrir, ce qui a généré encore plus de précarité. »
Ce recueil de la parole des plus précaires sur le confinement et ses conséquences est impulsé par le Secours Catholique au plan national au moyen d’un questionnaire-enquête relayé par les bénévoles auprès des personnes qu’ils accompagnent.
« Le confinement nous a tous touchés, riches comme pauvres, mais il a été vécu très différemment selon nos conditions de logement, notre situation familiale, d’emploi etc.., souligne Daniel Verger, responsable du pôle études-recherches-opinion au Secours Catholique.
« Sur cet événement important, la parole des personnes en précarité nous importe. Il s’agit de garder mémoire de cet épisode. Nous savons aussi d’expérience que les personnes en précarité ont des idées sur ce qui fonctionne ou pas dans notre société, et sur ce qu’il faudrait faire évoluer. »
Garder trace
Dans l’Orne et le Calvados, des bénévoles du Secours Catholique ont ainsi entrepris de rappeler un échantillon de personnes parmi le millier ayant sollicité la hotline mise en place pour répondre aux besoins révélés par la crise sanitaire.
« Nous les interrogeons sur ce qui leur a manqué, ce qui a été difficile à vivre pendant le confinement, et sur ce qu’elles en tirent comme pistes pour changer la société », explique Jean-Matthieu Chambon, délégué du Secours Catholique Orne-Calvados.
Cette réflexion est aussi enclenchée localement au sein des groupes d’entraide qui se sont constitués spontanément pendant le confinement, ainsi que dans les groupes conviviaux "classiques" de l’association qui reprennent progressivement leurs rencontres.
« Nous allons réfléchir aux moyens de garder trace de cela : par des fresques, des imagiers, un atelier d’écriture autour de l’expression poétique… », précise Jean-Matthieu Chambon.
En Picardie, une première synthèse des paroles recueillies pendant les mois d’avril et mai a déjà été produite. Les personnes en précarité y font état de nombreuses difficultés, certaines touchant par exemple aux démarches administratives et bancaires : « J’avais fait une demande de retraite, confie une personne, mais elle a été refusée, et en ce moment, c’est difficile de voir l’assistante sociale ».
« Il n’y a pas de banque pour tirer de l’argent, donc pas d’argent pour faire les courses », souligne une autre. Les difficultés financières ressortent clairement : « Je vais sur le marché où j’ai mes copains maraîchers qui me préparent quelques légumes pour la semaine », rapporte un témoin. « Il est difficile de se nourrir, vus l’évolution des prix, le manque de produits dans les rayons… », pointe un autre.
revaloriser les métiers
Pour « l’après », c’est le maintien des gestes et réseaux de solidarité qui est souhaité : « Surtout, garder le truc de solidarité que les gens ont actuellement », relève ainsi une personne interrogée. Une autre propose la revalorisation par « une hausse de leurs salaires par exemple » des « métiers tels que caissier, infirmier, camionneur etc., car ce sont ces métiers qui maintiennent le pays sur pied aujourd’hui ».
Autant de constats qui nourriront le plaidoyer du Secours Catholique pour les années à venir, dans le souci renouvelé de porter la parole et les préoccupations des plus pauvres au cœur des grands choix politiques et sociétaux.