Tournons la page, « une école de la démocratie » en Afrique
Entretien avec LaurenT Duarte,
secrétaire exécutif de Tournons la page
Cécile Leclerc-Laurent : Près de 10 ans après l’appel de Tournons la page, où en est la démocratie en Afrique ?
Laurent Duarte : Ces 9 années nous ont montré que Tournons la page avait vu juste : la question démocratique, en Afrique comme ailleurs, est le cœur du problème. Ces dernières années ont amené à la fois une phase de stagnation en Afrique centrale et une phase de régression en Afrique de l’Ouest, comme par exemple la militarisation du régime au Mali ou du Burkina Faso et la transition dynastique au Tchad. L’actualité nous montre donc que nous avons raison de répondre présent !
C.L.-L. : Justement, qu’a permis de faire avancer Tournons la page ? Avez-vous connu de petites victoires dans ce contexte difficile ?
L.D. : Il faut tout d’abord noter que notre mouvement s’est agrandi : nous sommes passés de 5 pays à 14 pays (y compris maintenant des pays anglophones comme le Malawi ou l’Ouganda, ce qui est un nouveau défi, notamment sur le plan linguistique) et de 55 membres à 255 membres.
Nos activités sur le terrain ont permis d’obtenir certains résultats. Par exemple nous avons contribué à la transition pacifique du pouvoir au Niger, ou encore à la non candidature de Joseph Kabila à la présidentielle en RDC. Nous avons aussi obtenu la promesse de deux présidents, celui du Bénin et celui du Botswana, de ne pas prétendre à un troisième mandat.
Mais il est clair que notre travail est difficile sur place car nos mouvements sont réprimés et fragiles. Nous sommes un géant aux pieds d’argile. Nous sommes de fait devenus une force de contestation et de proposition face à des régimes autoritaires. Nous sommes en quelque sorte le mouvement référent sur la question démocratique en Afrique ! Les régimes nous regardent entre méfiance et reconnaissance.
C.L.-L. : Pouvez-vous nous expliquer comment se passe la mobilisation des coalitions de TLP sur le terrain ?
L.D. : Cela dépend des pays. Par exemple la coalition de Guinée ou celle du Niger sont fortes en mobilisation sociale. Au Niger, cela a permis la création de maisons des citoyens qui sont de véritables lieux associatifs militants.
À l’inverse, d’autres coalitions comme celle du Congo Brazzaville vont être plus fortes sur le plaidoyer par exemple sur la réforme du processus électoral ou bien la question des industries extractives. La réalité diffère selon chaque pays, mais le but est le même : comment faire contribuer les citoyens à la construction démocratique de leur pays ?
C.L.-L : L’originalité de TLP était aussi de créer une solidarité panafricaine, est ce que ça marche ?
L.D. : Il existait déjà avant TLP des échanges informels entre mouvements de différents pays africains, mais nous avons rendu ces échanges plus formels et structurés. TLP met tout le monde au centre de la table et favorise les échanges de bonnes pratiques entre les mouvements de différents pays, sur la question démocratique et des droits de l'homme. Ce partage permet de faire avancer le mouvement avec les forces de chacun.
C.L.-L. : À quels défis TLP est-il désormais confronté pour les années à venir ?
L.D. : Les défis sont immenses. Dans le contexte de la montée des autoritarismes, nos mouvements citoyens sont réprimés ou instrumentalisés. Il va falloir dans ce cadre garder notre autonomie, ne pas se positionner dans un camp ou dans l’autre, je pense aux blocs de l’Occident, de la Russie, de la Chine etc.
Ensuite, nous devons faire face à un défi interne de gouvernance. Je pense que TLP doit être une école de la démocratie, cela veut dire qu’il faut donner plus de place aux femmes et aux jeunes et que les membres fondateurs doivent petit à petit passer le relai. Nous pourrons aussi former d’autres mouvements à l’extérieur pour valoriser nos savoirs.
Notre autonomisation entre 2019 et 2021 nous a permis de mettre nos membres africains au cœur du projet. Maintenant, il va falloir garder notre modèle économique (nous vivons de subventions et de soutiens de fondations) pour nous financer, sans pour autant dénaturer le mouvement ; et aussi investir de nouveaux membres à différents échelons et notamment à l’échelle internationale.
*le Secours Catholique est toujours membre de Tournons la page et continue de soutenir financièrement le mouvement.