Traite des êtres humains : Agir vraiment
Le 8 février, date anniversaire de la mort de Sainte Joséphine Bakhita (esclave soudanaise devenue religieuse italienne), le Pape François appelle à célébrer la Journée internationale de prière et d’action contre la traite des êtres humains. Geneviève Colas fait le point sur cette lutte de l'ombre.
Geneviève colas, responsable de la traite des êtres humains au secours catholique-caritas france, coordinatrice du collectif ensemble contre la traite des êtres humains et membre de la cncdh.
Secours Catholique : Il y a cinq ans, la France s’est dotée d’un Plan de lutte contre la traite des êtres humains. Est-il toujours à l’ordre du jour ?
Geneviève Colas : Effectivement, en 2014-2016, sous la présidence Hollande, il y a eu un Plan national sur trois ans. C’était une avancée, car jusque-là il n’existait rien de tel, et quelques années plus tôt la traite des êtres humains n’était même pas un sujet. Malheureusement, les moyens mis en œuvre n’étaient pas à la hauteur. Toutefois, cela a permis aux ministères concernés de travailler avec les associations et la société civile.
La mission interministérielle créée, composée de trois ou quatre membres, existe toujours mais il aurait été logique qu’à l’issue de ces trois ans un autre plan émerge en 2017.
Le collectif Ensemble contre la traite des êtres humains - que le Secours Catholique coordonne - a participé aux travaux préparatoires d’un plan qui devrait prochainement sortir. Ce futur plan est, semble-t-il, rédigé et transmis aux conseillers du Premier ministre et du président de la République pour validation et devait faire l’objet d’une rencontre interministérielle.
Mais nous n’avons pas eu connaissance de son contenu en cours de finalisation, ce qui nous mécontente car nous avons longuement été consultés et nos contributions ont été importantes.
D’autre part la mission interministérielle a également en charge les violences faites aux femmes. Cette seconde thématique est largement médiatisée, ce qui est très bien, mais au détriment de la première.
Nous souhaitons que le thème de la traite soit porté par une mission interministérielle exclusivement chargée de la traite des êtres humains sous toutes ses formes et concernant tous publics. La traite ne touche pas uniquement les femmes. Des hommes et des enfants en sont également victimes.
S.C : Outre votre expertise, quels sont vos atouts pour faire entendre votre cause ?
G.C : Il existe un organisme chargé de veiller à la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains avec lequel nous sommes en contact. Il s’agit du GRETA, groupe d’experts en la matière. Il sillonne les pays membres du Conseil de l’Europe pour évaluer la mise en œuvre de la Convention.
Il sera en France le 12 février prochain pour rencontrer les institutions chargées de la mise en œuvre des mesures de lutte contre la traite des êtres humains, la mission interministérielle et les ministères ainsi que le rapporteur national sur la traite qu’est la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).
A notre demande, le Groupe rencontrera les associations et les syndicats. Nous avons insisté pour que le GRETA rencontre les syndicats car, moi-même étant membre de la CNCDH, je mesure et apprécie l’engagement des syndicats sur ce sujet-là.
Or, il y a peu de collaborations entre la mission interministérielle et les syndicats. Dans des cas concrets comme celui dit des « coiffeuses africaines de la Gare de l’Est », ce sont les syndicats qui ont persuadé les juges de qualifier leurs situations de victimes de traite des êtres humains. Sans les syndicats, ces crimes auraient été qualifiés de délits mineurs. Pour nous, l’intervention des syndicats est essentielle.
S.C : Cette Journée internationale de prière et d’action contre la traite des êtres humains instaurée par le pape il y a quelques années vous aide-t-elle dans cette lutte ?
G.V : Elle a le mérite de rappeler que ce fléau persiste. Le pape a souvent mentionné la traite des êtres humains dans ses interventions. Le Vatican vient de publier un document reprenant tout ce qu’il a dit sur le sujet, ainsi qu'un second texte, véritable orientation pastorale qui invite à changer les mentalités et à agir vraiment.
S.C : Qu’entend-on par “agir vraiment“ ?
G.V : Il s’agit de mettre en pratique chaque point du document. Le changement culturel par exemple. Comprendre que la traite des êtres humains ce n’est pas uniquement l’exploitation sexuelle (la plus connue). C’est aussi l’exploitation économique des hommes et des enfants.
Le réseau international Caritas y travaille avec les évêques, les associations catholiques, la société civile dans son ensemble, les institutions et les experts dans ce domaine. Il coordonne le réseau Coatnet (Chrétiens contre la traite des êtres humains) présent dans de nombreux pays.
La traite des êtres humains est un fléau sans frontières et notre lutte doit se faire concomitamment avec nos partenaires étrangers.
S.C : Que fait le Secours Catholique au sein de ces réseaux ?
G.V : En lien étroit avec Coatnet et Caritas Internationalis, nous dirigeons une recherche-action sur la traite des enfants dans l’espace Euro-Méditerranéen. Par exemple, nous appuyons Caritas Albanie dans son travail avec la police aux frontières de son pays pour qu’elle aide à identifier les victimes de traite pour ensuite les diriger vers les associations qui les prennent en charge.
C’est un travail très concret. La lutte prend d’autres aspects pour sensibiliser sur le travail des enfants, comme quand le Secours Catholique appelle à être attentif aux modes consuméristes et sensibilise l’opinion. Cela a été le cas lors de la campagne “éthique sur l’étiquette“. Toutes ces campagnes contribuent à changer les mentalités.