Traite : « M. le président, ne restez pas sourd ! »
Le 10 mai, nous célèbrerons l’abolition de l’esclavage, et nous ferons mémoire des millions de victimes de la traite et de l’esclavage. Nous nous félicitons que la France – depuis quelques années et sous l’impulsion de la loi Taubira qui reconnaissait la traite et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité – se tourne avec lucidité sur son passé et que la mémoire de l’esclavage, longtemps refoulée, entre dans notre récit national.
Mais la traite des êtres humains n’appartient pas qu’au passé. L’abolition de droit que nous célébrons ne signifie pas suppression de fait.
Nous devons faire mémoire des souffrances endurées pendant quatre siècles par les millions de victimes des traites et des esclavages pratiqués sur les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes, par des compagnies européennes, soutenues par les États.
Mais ne restons pas sourds aux bruits des chaînes qui, aujourd’hui encore, retiennent prisonnières des millions de victimes de traite des êtres humains et les maintiennent dans des situations d’exploitation et de souffrance inacceptables.
En novembre 2017, des images de CNN tournées en Libye, faisaient le tour du monde et rappelaient que l’esclavage est encore de ce siècle, la réduction d’hommes et de femmes au rang de marchandises est une réalité de notre monde.
Ces images ont déclenché l’indignation de l’opinion publique et de la classe politique.
Vous avez, vous-même, qualifié ces agissements de « crimes contre l’humanité ».
Mais les images manquent pour que chacun réalise que la traite des êtres humains a cours aussi en Europe et en France.
Nul besoin de vivre dans une dictature ou un pays en guerre pour être victimes d’exploitation sexuelle, de travail forcé, de servitude domestique, de mariage servile, pour être contraint à mendier ou à commettre des délits...
Derrière les différentes formes de traite et la variété des types d’exploitation se cachent des milliers de visages anonymes et souvent invisibles.
Pourtant en Europe, ces victimes seraient au moins au nombre de 600.000 selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), 129.000 au moins en France.
Visages souffrants des milliers de victimes de la traite :
- femmes, enfants, hommes contraints à la prostitution sur les trottoirs de nos villes ;
- esclaves domestiques recluses dans le secret des maisons et soumises aux exactions de leurs exploiteurs ;
- migrants se tuant à la tâche dans des ateliers de confection clandestins ou des exploitations agricoles ;
- mineurs isolés, errant dans les rues, et contraints pour le compte d’autrui, à la mendicité ou à la délinquance.
- Mais aussi visages encore trop mal connus des trafiquants, organisés en réseaux mafieux transnationaux ou simples exploiteurs profitant de la vulnérabilité d’autrui pour faire du profit…
À rebours des idées reçues, nous affirmons que la France est confrontée à la traite et l’exploitation des êtres humains. Aujourd’hui, dans notre pays, des milliers de femmes, de mineurs et d’hommes sont exploités et ainsi bafoués dans leur dignité, privés de leurs droits et de leurs libertés fondamentales.
À rebours des discours politiques, nous affirmons que le gouvernement français ne met pas tout en oeuvre pour prévenir et lutter contre la traite et l’exploitation des êtres humains. En 2014, la France s’était dotée – sous l’impulsion de la société civile et des institutions internationales – d’un plan d’action triennal posant pour la première
fois les fondements d’une véritable politique publique de lutte contre la traite des êtres humains sous toutes ses formes d’exploitation.
Depuis, des progrès ont certes été accomplis en la matière, mais ils sont loin d’être suffisants et beaucoup reste à faire, tant sur le volet juridique, que sur le volet de la protection des victimes, ou de la prévention.
Or, plus de deux ans après que le plan soit arrivé à son terme, le silence des autorités politiques est assourdissant.
Le désintérêt manifeste des pouvoirs publics pour la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains inquiète les associations mobilisées au quotidien contre ce fléau.
Face à l’ONU, au Conseil de l’Europe, à l’Union européenne qui rappellent à la France ses obligations en la matière, le gouvernement ne bouge pas.
Nous, associations engagées depuis de nombreuses années dans la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains et l’accompagnement des victimes, demandons au Président de la République et au Gouvernement de mettre en place rapidement un nouveau plan national d’action, assorti des moyens nécessaires à sa mise en oeuvre, pour que cette lutte ne demeure pas un voeu pieux.
Nous insistons sur la nécessité de rattacher directement au Premier ministre la coordination de la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains, afin d’assurer la prise en compte de toutes les victimes dont certaines sont aujourd’hui encore trop souvent négligées.
Ce plan national d’action doit permettre que toutes les victimes de traite, quelle que soit la forme d’exploitation, soient protégées de manière identique et aient les mêmes droits. Il doit répondre à trois nécessités :
- l’identification des victimes;
- la coordination des actions avec la société civile;
- la priorisation et la planification des actions.
Ainsi qu’à un impératif : la réalité de moyens financiers et humains permettant de le mettre en oeuvre et de l’évaluer.
C’est à ces conditions seulement que le gouvernement français pourra revendiquer une action effective contre la traite et l’exploitation des êtres humains en France et que les victimes pourront effectivement accéder à leurs droits et à une nouvelle vie.
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