Trêve hivernale : «L'État et les associations sont inquiets»
Entretien avec Armelle Guillembet, responsable du département De la rue au logement, au Secours Catholique.
Secours Catholique : Ce 31 octobre, c'est l'ouverture de la trêve hivernale. Vous dites que les associations comme les services de l'État sont inquiets.
Armelle Guillembet : Oui, le gouvernement, les préfectures et les associations craignent une situation très difficile à gérer cet hiver. L’accès à l’hébergement d’urgence est de plus en plus saturé, 80% des appels au 115 n’aboutissent pas. À Toulouse, des agents du 115 se sont mis récemment en grève pour dénoncer leur incapacité à répondre à un nombre de plus en plus
important de demandes.
S.C. : Chaque année, le Secours Catholique dénonce, avec d'autres associations, une « gestion au thermomètre » qui vise à faire face à l'urgence de la chute des températures mais qui ne résout finalement rien.
A.G. : Comme chaque année, les préfets cherchent des solutions en urgence pour parer la pénurie de place dans les centres d'hébergement. On ouvre des gymnases, on maintient ouvert la nuit des accueils de jour... Le risque est de voir se déployer un dispositif « quantitatif » avec une mise à l’abri reconduite soir après soir tant que les températures l'exigent, mais peu engagé sur les aspects qualitatifs exigés par les associations.
Être hébergées la nuit et remises à la rue au petit matin sans accompagnement, ce n'est pas ce qui va aider les personnes et familles à sortir de la rue. Ce n'est pas non plus ce que demandent ces dernières. Elles souhaitent la stabilité.
Or, en dehors de la trêve hivernale, nous constatons une aggravation des remises à la rue. Des critères d’admission de plus en plus sévères et discriminants sont souvent mis en place dans l’accueil d’urgence, et conduisent, notamment, à ne plus admettre ou maintenir en hébergement d’urgence les familles avec enfants de plus de trois ans, voire même les familles avec enfants de plus de six mois, selon les préfectures.
Au printemps, une centaine de familles ont failli être expulsées de leurs chambres d'hôtel, dans les Hauts-de-Seine, au motif qu'elles y étaient installées depuis trop longtemps et qu'il fallait fluidifier le système d'hébergement.
Nous sommes d'accord qu'il faut fluidifier le système d'hébergement et que l'hôtel ne doit pas être une solution à long terme pour les familles, car les conditions de vie y sont très précaires. Mais si c'est pour mettre ces familles à la rue, nous ne sommes pas d'accord.
Dans les Hauts-de-Seine, face à la mobilisation des associations et d'enseignants d'établissements où les enfants étaient scolarisés, la préfecture a fait marche arrière laissant tout de même quelques familles sans solution. Mais dans beaucoup de cas, ailleurs, où il n'y a pas une telle mobilisation et médiatisation, des personnes hébergées à l’hôtel depuis des années sont remises à la rue, sans se voir proposer de solutions pérennes, contrairement à ce que prescrit la loi.
Les textes exigent, en effet, que toute personne admise en hébergement d’urgence y reste tant qu’elle en exprime le souhait et dès lors qu’aucune solution d’hébergement alternative ou de logement ne lui est proposée. L’augmentation importante des ménages à la rue avec enfants, parfois en bas âge, est très inquiétante.
S.C. : Le gouvernement indique pourtant qu’il veut sortir du mode de « gestion au thermomètre ».
A.G. : De fait, l'État fait des efforts. Sur les 12 000 places d'hébergement supplémentaires ouvertes l'hiver dernier, 5 000 ont été pérennisées. Mais cela ne suffit pas. Ces efforts d'hébergement sont inefficaces s'il n'y a pas de vision globale incluant la question du logement.
S.C. : Le gouvernement s’est engagé dans un plan quinquennal sur le « Logement d’abord » (2018-2022).
A.G. : Cette approche du logement d’abord est une bonne chose. Elle est portée depuis longtemps par le monde associatif : le CAU (Collectif des Associations Unies pour le logement des personnes défavorisées) a réfléchi aux conditions de sa mise en œuvre à court, moyen et long terme pour permettre un réel changement de paradigme. Il s’agit en effet de sortir de la logique de l’hébergement en escalier, - qui vise à faire passer les personnes d'un dispositif à un autre, jusqu'à peut-être atteindre un jour l'étape du logement - en permettant aux personnes mal logées d’avoir accès en priorité à un logement.
Cette stratégie exige un engagement fort de l’État et de tous les acteurs du logement, pour produire et mobiliser des logements accessibles aux ménages les plus modestes et recentrer, à terme, l’hébergement sur l’urgence.
Or, nous constatons un problème de cohérence entre, d'une part, les objectifs de ce plan quinquennal sur le « Logement d'abord », et, d'autre d'autre part, le projet de loi de finance, où l'on ne retrouve pas fléchés les investissements annoncés pour le logement d'abord, et le projet de loi Elan qui vient contrebalancer les efforts de ce plan quinquennal en fragilisant les acteurs du logement social.
S.C. : Que préconise le Secours Catholique ?
A.G. : De transformer les politiques publiques afin de sortir de la logique des parcours discontinus. C’est le sens du plan quinquennal « Logement d’abord », mais encore faut-il se donner les moyens d’y arriver. C'est-à-dire, prévoir un budget suffisant et mener une politique ambitieuse de construction de logements accessibles aux plus modestes.
Nous préconisons aussi de sortir de la logique des expulsions ou remises à la rue, dont les effets sur les familles, et particulièrement sur les enfants, sont destructeurs, pour favoriser l’accès à l’hébergement digne qui permette un accompagnement vers le logement.