Véronique Devise : « À Calais, on renie les valeurs de notre République »
150 organisations, dont le Secours Catholique – Caritas France, soutiennent les demandes des trois personnes en grève de la faim à Calais depuis dix-sept jours. Ils protestent contre les conditions indignes avec lesquelles les personnes exilées sont traitées dans le Calaisis. Un médiateur désigné par le ministère de l’Intérieur doit les rencontrer ce 27 octobre.
La présidente du Secours Catholique – Caritas France, Véronique Devise, s’est rendue le dimanche 17 octobre à Calais, en signe de soutien aux grévistes. Nous l’avons interviewée le lendemain.
Entretien avec véronique devise, présidente du secours catholique - Caritas France
Secours Catholique : Vous étiez hier à Calais où vous avez rencontré trois personnes qui ont entamé voici huit jours une grève de la faim pour protester contre la manière dont sont traitées les personnes migrantes à Calais et aux alentours. Parmi les grévistes se trouve Philippe Demeestère, aumônier du Secours Catholique du Pas-de-Calais. Dans quel état d’esprit étaient-ils hier ?
Véronique Devise : Ils étaient heureux que nous soyons venus les soutenir, Monseigneur Leborgne, évêque d’Arras, Hervé Perrot, aumônier national du Secours Catholique, Olivier Caron, président de la délégation du Pas-de-Calais et moi-même.
Mais nous ressentons une fatigue et une inquiétude de leur part. Ils risquent de rentrer dans une phase plus dure de la grève de la faim dans les jours qui viennent.
Cela fait maintenant huit jours qu’ils ne mangent plus. Heureusement, ils sont suivis par un infirmier et un médecin qui leur rendent visite tous les jours.
Le Secours Catholique les soutient, même si ce n’est pas la forme que prennent habituellement nos engagements.
S.C : Comment décririez-vous la situation des personnes migrantes à Calais ?
V.D : Hier, avec l’équipe du Secours Catholique de Calais, nous sommes allés à Coquelles, un site où vivent actuellement près de 300 personnes, majoritairement des Soudanais.
Actuellement, il y a environ 1500 personnes exilées dans le Calaisis. Parmi elles, on estime qu’il y a environ 300 mineurs non accompagnés. C’est intolérable d’avoir des mineurs sans protection alors que la loi, elle, les protège. Des bénévoles m’ont dit qu’il y avait aussi des familles, des femmes seules, des enfants. On m’a parlé d’une famille avec des enfants, dont des jumeaux de 9 mois.
Toutes les 48 heures, et parfois toutes les 24 heures, les forces de l’ordre les expulsent de leur lieu de vie. On ne leur permet même pas de se poser pour reprendre un peu de force. Ils dorment comme des bêtes dans les bosquets.
Parfois, leurs affaires personnelles sont confisquées. Le peu qu’ils possèdent, une tente, un sac à dos, une couverture, on le leur prend. Alors les personnes exilées vont de plus en plus loin pour échapper aux expulsions. Elles s’éparpillent dans des petits campements autour de Calais.
Dans les lieux de migration où je suis allée en France, on ne retrouve pas cette inhumanité.
Ces expulsions à répétition exaspèrent les personnes exilées et les personnes qui sont engagées à leurs côtés, comme nos bénévoles du Secours Catholique. Cette situation est aussi difficile à vivre pour les Calaisiens. Beaucoup s’interrogent sur la pertinence des solutions apportées par les pouvoirs publics. On est sur du tout sécuritaire.
J’ai été engagée au Secours Catholique de Calais il y a une dizaine d’années : c’était déjà les mêmes problèmes. Nous nous sommes battus pour avoir le droit d’installer des douches afin que les personnes puissent se laver.
Aujourd’hui, l’association La Vie active, mandatée par l’État, distribue des repas et propose des douches, ce qui est une avancée. Mais cela se passe dans un endroit très éloigné des lieux de vie des personnes.
D’autres associations proposent des distributions de nourriture au plus près de leurs lieux de vie : les personnes exilées sont de jeunes hommes qui passent et repassent pour avoir un morceau de pain et des fruits. Ils ont faim !
[NDLR : des arrêtés préfectoraux interdisent aujourd’hui aux associations non-mandatées par l’État de distribuer de la nourriture dans certaines parties de la ville, notamment le centre.]
S.C : Quelles sont les demandes du Secours Catholique face à cette situation ?
V.D : Premièrement, nous demandons l’arrêt des expulsions des campements de personnes exilées, au moins pendant la trêve hivernale.
Deuxièmement, qu’on arrête de confisquer et de détériorer leurs affaires personnelles.
Troisièmement, nous demandons que soit recréé un dialogue entre les associations et les pouvoirs publics pour adapter l’aide aux besoins des personnes exilées.
S.C : Avez-vous eu des réponses à ces demandes, au cours de la semaine écoulée, de la part des autorités locales ou nationales ?
V.D : La sous-préfecture de Calais a proposé une réunion qui devrait avoir lieu le 22 octobre. Depuis quatre ans, il n’y a plus véritablement de dialogue avec les autorités. Est-ce que, cette fois-ci, nos sollicitations seront entendues ? Le contexte est difficile, nous sommes en période pré-électorale, ce qui accentue les tensions et n’est pas très favorable aux personnes migrantes…
S.C : Pourquoi cela a-t-il du sens, pour le Secours Catholique, de s’engager auprès des personnes migrantes à Calais ?
V.D : Les personnes exilées sont des pauvres parmi les pauvres. La France est la patrie des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » (article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme).
Aujourd’hui, à Calais, la dignité des personnes exilées n’est pas respectée. On renie les valeurs de notre République.
La loi de 2009 sur l’inconditionnalité de l’accueil dit que toute personne sans abri et en situation de détresse a le droit d’avoir accès à une mise à l’abri. Pour sortir de cette grève de la faim, le Secours Catholique ne demande même pas cela !
S.C : Vous étiez hier à Calais en même temps que l’évêque d’Arras, Monseigneur Olivier Leborgne. En quoi cet engagement aux côtés des personnes migrantes doit-il interpeller les chrétiens ?
V.D : En tant que chrétiens, ces personnes exilées sont nos frères et nos sœurs en humanité. Si nous ne respectons pas leur humanité, c’est toute l’humanité qui en est blessée.
A propos des personnes exilées, le pape François nous dit : « Ce sont nos frères et nos sœurs qui cherchent un refuge loin de leurs terres, ils cherchent un endroit où ils pourront vivre sans peur.1 »
A l’écoute du pape François, sachons leur tendre la main !