Firas : « Il faut être bien soi-même pour pouvoir aider les autres »
« Le 11 novembre 2021, j’ai fui Beyrouth pour ne plus vivre dans la peur. J’étais croupier au Casino du Liban, un lieu où se mélangent business et politique, et j’ai voulu présenter une liste proche du Mouvement citoyen du 17 octobre aux élections syndicales. Ça n’a pas plu à tout le monde. J’ai reçu des dizaines de menaces de mort. Pour ma sécurité, j’ai décidé de partir en France.
À mon arrivée ici, je me suis senti un peu perdu. Je connaissais pourtant bien la France. J’étais déjà venu de nombreuses fois en vacances. J’ai de la famille et des amis ici. Mon frère jumeau habite à côté de Paris. Mais en me présentant comme demandeur d’asile, j’ai découvert une autre réalité : la longueur et la complexité de la procédure de demande d’asile. Sans droit de séjour, je n’avais pas le droit de travailler. Les journées étaient longues et ennuyantes. Pour ne pas rester à ne rien faire et me sentir inutile, je me suis engagé comme bénévole. Pourquoi au Secours Catholique ? Parce que pendant la guerre du Liban, quand j’étais enfant, ma famille a dû beaucoup se déplacer. Et à ce moment là, Caritas Liban nous a beaucoup aidés. Malgré toutes les années écoulées, je n’ai pas oublié. Je voulais rendre ce qu’on m’avait donné.
Depuis mars 2022, je m’occupe de l’accueil au Centre d'entraide pour les demandeurs d'asile et les réfugiés (CEDRE), une antenne du Secours Catholique dans le 19e arrondissement de Paris. J’ai découvert des situations pires que la mienne. Moi au moins, je peux compter sur l’aide de mon frère. Cette expérience m’a rendu plus empathique, plus compréhensif, plus à l’écoute des autres. J’ai aussi appris à accepter ce que j’avais : un toit, de quoi manger et sortir de temps en temps.
Les premiers mois, j’étais à fond dans mon rôle de bénévole, mais à force d’écouter la triste vie des gens, en plus du stress de ne toujours pas avoir mon droit d’asile, j’ai fini par faire un burn out. Je se souviens très bien du moment où j’ai craqué. Je discutais avec un jeune Tunisien qui était à la rue depuis des mois. Il était dans un état vraiment pas beau à voir : il avait des vêtements en guenilles et sentait extrêmement mauvais. Il était parfaitement conscient de l’état dans lequel il était. Il voulait juste appeler sa mère. Ce jour-là, j’ai pleuré. J’ai réalisé que j’avais besoin de faire un break. Je ne suis plus venu pendant quelques mois. Quand je suis retourné au CEDRE, j’ai choisi de ne venir qu’une fois par semaine, pour me préserver. Il faut être bien soi-même pour pouvoir aider les autres.
Ce n’est pas évident tous les jours. C’est dur en effet d’être confronté à des situations parfois horribles en se sentant impuissant. Mais il y a aussi des choses très belles dans cet engagement. Je me souviens d’une fois où j’avais fini ma journée à l’accueil et un inconnu s’est avancé vers moi pour me remercier. Je lui ai demandé “Pourquoi ?” Je ne comprenais pas car je n’avais même pas eu le temps de lui parler. Il m’a répondu qu’il m’avait observé, qu’il avait vu comment j’étais à l’écoute des autres. Il me remerciait pour cela. Ça m’a ému. »