Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi : « Personne n’est inemployable »
Propos recueillis par Aurore Chaillou, journaliste, et Christophe Authier, salarié dans une entreprise d'insertion et reconnu travailleur handicapé.
Photos : Xavier Schwebel
PARCOURS
Jean Bassères
- 1998—2005 : Directeur général de la direction générale de la comptabilité publique
- 2005—2008 : Secrétaire général du ministère des Finances
- 2008—2011 ; Chef de l’inspection générale des finances
- 2011 : Directeur général de Pôle emploi
Christophe Authier
- 1971 : Naissance. Après un apprentissage, il travaille une vingtaine d’années dans la restauration
- 2006 : Licenciement économique
- 2020—2022 : Travaille dans des structures d’insertion
- 2022 : Est reconnu travailleur handicapé
Christophe Authier : Je travaillais dans une brasserie. J’ai été licencié pour raisons économiques. Pôle emploi me proposait seulement du travail saisonnier, loin de chez moi. J’ai refusé. Aujourd’hui, un demandeur d’emploi qui refuse trop d’offres risque d’être radié. Pourquoi le radier alors que les offres proposées par Pôle emploi ne correspondent pas toujours à ses compétences ni à son lieu de vie ?
Jean Bassères : On ne radie pas les gens lorsqu’ils cherchent du travail. Le demandeur d’emploi et son conseiller définissent une « offre raisonnable d’emploi » qui engage le demandeur d’emploi en fonction de son projet. Pôle emploi fait des propositions au demandeur, mais il doit aussi chercher par lui-même.
Nous avons, par ailleurs, des prestations pour permettre aux personnes de construire leur projet professionnel. Il y a un travail à mener pour faire découvrir des métiers auxquels les gens ne pensent pas, des métiers en tension par exemple. Il s’agit aussi de faire prendre conscience que des compétences acquises dans un métier peuvent être transférées vers un autre. Vous-même, cuisinier, vous avez sans doute acquis des gestes que vous retrouvez dans votre poste actuel chez Carton plein.
C. A. : Après mon licenciement et la mort de mon grand frère, j’ai fait une dépression. Comme moi, à un moment donné, certains demandeurs d’emploi n’ont plus le courage de travailler. Pourquoi les sanctionner parce qu’ils ne recherchent pas activement un travail, alors que, dans ces circonstances, ils auraient besoin d’aide ou de soins ?
J.B. : Les contrôles n’ont pas un objectif exclusivement répressif. Le pourcentage de radiation à la suite d’un contrôle est assez faible, autour de 15 %. Ces contrôles servent à s’assurer que les gens cherchent effectivement un travail en contrepartie de l’aide qu’ils reçoivent, ce qui n’est pas choquant. Ils servent surtout à remobiliser des demandeurs d’emploi démotivés, à reprendre contact avec Pôle emploi pour trouver des solutions. Les contrôles nous permettent également d’identifier les freins périphériques à l’emploi: des problèmes de santé, de mobilité, de garde d’enfants… À Pôle emploi, nous ne sommes pas en capacité de résoudre, nous-mêmes, l’ensemble de ces difficultés. C’est pour cela que nous travaillons avec des partenaires.
Les contrôles n’ont pas un objectif exclusivement répressif.
Nous travaillons notamment avec les départements sur tout le territoire pour proposer un « accompagnement global » pour les demandeurs d’emploi qui connaissent des freins périphériques à l’emploi. Dans ce cadre, un conseiller suit une soixantaine de personnes contre 180 habituellement dans la modalité d’accompagnement médiane. Cela représente environ 65 000 demandeurs d’emploi accompagnés par 1 200 conseillers. Les conseillers travaillent avec les travailleurs sociaux du département, qui peuvent mobiliser différentes ressources pour lever les freins à l’emploi de la personne.
Pour l’aide à la mobilité, nous travaillons avec l’association Wimoov, qui fait des bilans individuels de mobilité. L’aide à la mobilité passe aussi par les aides aux permis de conduire, les garages solidaires. Nous avons une expérimentation en cours pour aider des demandeurs d’emploi à trouver un logement lorsqu’ils doivent déménager pour se rapprocher de leur lieu de travail. Contre la fracture numérique, nous avons notamment travaillé avec Emmaüs Connect.
Pour nous, l’objectif est de trouver de bons partenaires au plus près du terrain. L’approche partenariale est vraiment dans l’ADN de Pôle emploi. En 2022, nous souhaitons lancer un appel à manifestation d’intérêt auprès des associations, pour qu’elles nous proposent des projets au service des demandeurs d’emploi.
Aurore Chaillou : Quel accompagnement proposez-vous aux demandeurs d’emploi de longue ou très longue durée ?
J.B. : Au-delà de l’accompagnement global, nous allons proposer aux demandeurs de longue ou de très longue durée des actions de remobilisation et d’accompagnement intensives, tout au long de l’année 2022. Dans douze agences, nous testons un parcours de remobilisation à destination de demandeurs d’emploi de très longue durée (ceux qui, sur les 27 derniers mois, n’ont pas travaillé pendant au moins 24 mois). Cela concerne 800 000 personnes. Chacune a un parcours différent. Il faut du sur mesure. Nous proposons à chacune une demi-journée de temps collectifs et individuels pour comprendre son parcours et les freins qu’elle rencontre. Ensuite, nous lui proposons un plan d’action, dans les six mois suivants, pour actionner tous les leviers dont nous disposons. Cette expérimentation sera généralisée à toute la France en 2022.
Grâce à cela, nous nous sommes rendu compte de l’importance de la question de la santé, car le chômage peut être générateur de pathologies. Nous allons mettre en place, début 2022, une nouvelle prestation, le parcours emploi santé, avec une équipe pluridisciplinaire composé notamment d’un psychologue, de personnel soignant et d’accompagnateurs sociaux, qui vont examiner le problème de santé de la personne et réfléchir à un projet professionnel compatible avec cette situation.
A. C. : La réforme de l’assurance-chômage pénalise les personnes déjà précaires au regard de l’emploi. Ne serait-il pas possible de la réformer autrement ?
J.B. : La définition des règles de l’assurance-chômage ne dépend pas de Pôle emploi. Notre rôle, à nous, est d’informer les demandeurs d’emploi sur les nouvelles règles d’indemnisation et de les accompagner vers des emplois durables.
A. C. : Quelles leçons tirez-vous de Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) au terme de cette première période d’expérimentation ?
J.B.: Nos équipes locales sont très impliquées dans tous les territoires d’expérimentation. Nous avons deux rôles : proposer aux personnes d’être recrutées dans des entreprises à but d’emploi (EBE), et, dans un second temps, les orienter vers d’autres types d’emploi, puisque l’objectif est aussi de permettre aux personnes de sortir de l’EBE afin que d’autres en bénéficient.
Ce qui me semble le plus important, c’est que tous les acteurs locaux de l’économie sont autour de la table. On crée ainsi un vrai écosystème local de volontariat fort avec Pôle emploi, les entreprises d’insertion, les élus et les entreprises locales. C’est un instrument de plus dans la lutte contre le chômage. Notre certitude, c’est que personne n’est inemployable.
A. C. : L’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée partage avec vous cette conviction que personne n’est inemployable. Mais ce dispositif cherche à adapter le travail à la personne, à ses compétences et ses envies plutôt que d’adapter la personne aux « métiers en tension ». N’est-il pas possible de changer de logique ?
J.B. : À Pôle emploi, on tient évidemment compte des compétences des demandeurs d’emploi, mais aussi de la réalité du marché du travail. Dès le premier entretien avec un conseiller, la situation personnelle et professionnelle du demandeur d’emploi est discutée pour élaborer une feuille de route qui intègre ses compétences et ses souhaits. On lui propose aussi de réfléchir à son projet professionnel : prendre conscience que des compétences acquises dans un métier qui ne recrute pas peuvent être transposables dans un autre métier dont les besoins en recrutement sont importants peut représenter des opportunités pour des demandeurs d’emploi.
C. A. : De plus en plus, on est obligé d’utiliser le numérique pour avoir accès aux services publics. Moi, pour mon actualisation à Pôle emploi, je dois demander à la référente sociale du centre d’hébergement où j’habite de s’en occuper, car je n’ai pas d’ordinateur. Certaines personnes ne maîtrisent pas bien le numérique. Comment s’assurer qu’il y a encore des rendez-vous en agence avec des conseillers pour les personnes qui ne maîtrisent pas le numérique ou qui n’ont pas les outils qu’il faut ?
J.B. : C’est vrai que l’on a beaucoup investi le numérique. Cela permet de faire gagner du temps aux conseillers pour qu’ils en consacrent plus à l’accompagnement. C’est grâce au numérique que des personnes sourdes et malentendantes peuvent discuter avec leur conseiller. C’est aussi un plus pour trouver un travail. Aujourd’hui, 75 % des emplois exigent la maîtrise des compétences numériques de base. Mais nous avons conscience de la fracture numérique. Les personnes qui n’ont pas le matériel pour se connecter peuvent se rendre dans nos agences où il y a des bornes d’accès. Et pour aider les personnes qui ne maîtrisent pas suffisamment le numérique, nous avons 3 000 volontaires en service civique présents en agence.
Aujourd’hui, 75 % des emplois exigent la maîtrise des compétences numériques de base. Mais nous avons conscience de la fracture numérique.
Pour mesurer le degré de maîtrise du numérique des personnes, nous avons un outil d’évaluation,Pix emploi. En vingt questions, un conseiller peut évaluer le niveau du demandeur d’emploi. Nous orientons ceux qui sont le plus en difficulté vers nos partenaires de la médiation numérique et on peut proposer des chèques numériques (APTIC) pour financer des sessions de formation.
C. A. : Mais est-ce qu’il y aura toujours des humains dans les agences de Pôle emploi ?
J.B. : Oui, il y aura toujours des conseillers pour accompagner les demandeurs d’emploi, même si ceux-là sont assistés par des outils numériques ! Les agences de Pôle emploi sont d’ailleurs ouvertes tous les jours partout sur le territoire. Pour qu’une personne puisse envisager une réorientation, un contact humain, avec quelqu’un qui lui explique en quoi consiste tel ou tel métier, c’est indispensable selon moi.
A. C. : Quelles leçons tirez-vous des lieux où est testé le service public de l’insertion et de l’emploi (SPIE), qui devrait permettre aux personnes les plus précaires d’avoir un référent unique pour leurs démarches administratives ?
J. B. : Le SPIE a pour ambition de renforcer l’efficacité de l’accompagnement vers l’emploi des personnes qui rencontrent des difficultés particulières pour s’insérer sur le marché du travail. Cela a permis de renforcer nos liens avec les acteurs locaux de l’insertion et de mieux nous coordonner pour faciliter les démarches des personnes concernées.
Les projets départementaux prennent des formes très différentes en fonction des besoins de chaque territoire et des pratiques intéressantes émergent. Il nous faudra faire un bilan précis de toutes ces initiatives pour nous assurer qu’elles améliorent réellement la qualité et les effets de l’accompagnement que nous proposons ensemble, pour les développer plus largement.