Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire : « La surpopulation grippe l’ensemble du système carcéral »
Propos recueillis par Aurore Chaillou, journaliste, et Malak Rami qui a connu la détention.
Photos : Xavier Schwebel
PARCOURS
Laurent Ridel
- 1961 : Naît à Rennes (Ille-et-Vilaine)
- 1985 : Entre à l’École nationale d’administration pénitentiaire. Devient sous-directeur de la maison centrale de Saint-Maur en 1986 avant d’occuper plusieurs postes de chef d’établissement
- 2004 : Directeur interrégional des services pénitentiaires d’Alsace/Lorraine, puis de l’Outre-Mer en 2010, de Paris en 2016. Conseiller pénitentiaire au cabinet du Garde des Sceaux en 2005.
- 2021 : Devient directeur de l’administration pénitentiaire, sur la proposition d’Éric Dupond-Moretti
Malak Rami
- 1993 : Naît à Casablanca (Maroc)
- 2008 : Arrive en France
- 2020 : Est incarcérée puis mise en semi-liberté
- 2021 : Est remise en liberté. Devient chargée de missions emploi pour le Wake up Café, une association qui accompagne des personnes détenues dans leur insertion socio-professionnelle
Malak Rami : A la suite d’un délit, j’ai été condamnée à un an de prison, aménagé en placement sous bracelet électronique, et interdite de retourner dans mon département de résidence, ce qui m’a fait perdre mon logement. J’ai été incarcérée trois semaines en attendant un placement en semi-liberté, ce qui m’a fait perdre mon emploi. Or, pour bénéficier de ma semi-liberté, je dois justifier d’un emploi et d’un logement. Avez-vous une solution face à ce paradoxe du système pénal ?
Laurent Ridel : Quand on arrive devant le juge pénal, c’est toujours un échec. Un échec personnel – je crois au libre arbitre –, et un échec de la société, qui, à un moment, n’a pas su encadrer, tendre la main.
Ensuite, il n’y a pas que la peine de prison. Aujourd’hui, pour 67 000 détenus incarcérés, on suit environ 170 000 personnes en milieu ouvert, sous forme de bracelet électronique, de sursis probatoire, de travail d’intérêt général… Il existe une variété importante de dispositifs de probation [mesures contraignantes sans emprisonnement, NDLR]. Mais je suis favorable à un système judiciaire lisible pour la société, les magistrats, la victime et le condamné. Pour la victime, il peut être difficile de comprendre qu’une personne condamnée à deux ans d’emprisonnement bénéficie d’un aménagement de peine et se retrouve dehors.
Les réformes actuelles visent à redonner de la cohérence. La loi de programmation 2018-2022 pour la Justice repose sur un principe simple : éviter le prononcé des courtes peines de prison, généralement peu efficaces, et assurer l’effectivité des peines d’emprisonnement prononcées.
M. R. : Pourtant, il y a encore beaucoup de courtes peines, notamment pour des personnes condamnées pour la première fois pour des délits mineurs…
L. R. : La justice est une œuvre humaine, donc imparfaite. On ne sera pas condamné de la même manière pour trafic de stupéfiants à Bobigny que dans le Cantal. La justice reflète aussi les valeurs d’une société. Quand j’ai commencé ma carrière, un homme qui tuait sa femme, c’était un « crime passionnel ». Aujourd’hui, le regard sur cette réalité insupportable a changé : c’est un « féminicide ».
Ma conviction, c’est que la détention doit être un temps utile en termes de prévention de la récidive. Mais ce que je peux dire de mes trente-cinq années d’expérience au sein de la pénitentiaire, c’est que, parfois, la peine de prison est inévitable pour éviter la réitération.
L. R. : Le premier problème, c’est la surpopulation, qui grippe l’ensemble du système carcéral. Une maison d’arrêt comme celle de Villepinte (Seine-Saint-Denis), prévue pour 500 détenus, en accueille près d’un millier. L’ensemble du fonctionnement de l’établissement se trouve alors en difficulté. En outre, le nombre de surveillants ne dépend pas du taux d’occupation de l’établissement. Le personnel est donc moins disponible.
Une autre difficulté tient au fait que beaucoup de détenus n’ont jamais travaillé. On a des gens en détention issus de la deuxième, troisième génération qui n’ont jamais vu quelqu’un de leur famille travailler.
Quant à la formation professionnelle, c’est l’affaire de toute la société. En prison, elle est pilotée par les régions. Souvent, les formations proposées sont les mêmes qu’à l’extérieur, pour des métiers en tension (cuisine, boulangerie, pâtisserie par exemple).
A. C. : Un homme m’a confié avoir suivi une formation de couvreur en prison mais, du fait de son incarcération, il n’a pas pu effectuer de stage. Or la première chose que regarde un employeur, c’est l’expérience pratique.
L. R. : Dans un cas comme celui-ci, un aménagement de peine peut permettre d’effectuer un stage. L’intérêt du travail, c’est de redonner de la dignité.
A. C. : Quelles sont vos marges de manœuvre, en tant que directeur de l’administration pénitentiaire, pour rendre cette institution plus humaine et plus respectueuse de la dignité des personnes ?
L. R. : La prison n’est ni bonne ni mauvaise. C’est une institution sociale comme une autre. Il faut des prisons variées en fonction de la personnalité des détenus et du type de délit ou de crime. On a du mal à individualiser la peine à cause du surencombrement. Mais la direction de l’administration pénitentiaire mène une réflexion sur la diversification des établissements. Il en existe des très ouverts, comme à Casabianda, en Corse, et des très sécuritaires, pour les terroristes par exemple. Il y a également des régimes de détention différents.
A Villepinte, le régime « Respect » permet de rendre les détenus acteurs de leur détention. Ils ont la clé de leur cellule, participent à des activités et s’engagent à respecter leurs co-détenus, les surveillants, les règles de la détention. En même temps, c’est un régime exigeant : par exemple, si vous êtes pris avec un téléphone portable, vous retournez en régime classique au moins trois mois avant de pouvoir postuler à nouveau. Si ça marche à Villepinte, avec des détenus difficiles, ça peut fonctionner ailleurs. Je souhaite développer ce régime partout en France.
Ensuite, je me battrai aux côtés du garde des Sceaux pour obtenir des moyens. Mais tout n’est pas une question de moyens. C’est avant tout une question de volonté. Je crois en la politique des petits pas. En une génération, aucune autre institution n’a autant évolué que la prison. L’émergence de la question des droits des détenus date de la fin des années 1990 et la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a porté ce droit à un niveau législatif.
Cette année, lors du premier tour des élections régionales, près de 5000 détenus ont voté. On n’a jamais autant voté en prison ! Et certaines personnes votaient pour la première fois. Pour ce qui est de la santé, depuis 1994, chaque établissement pénitentiaire est rattaché à un hôpital responsable de la prise en charge sanitaire des détenus. Certains se refont une santé en détention. Notamment des gens qui n’avaient quasiment jamais vu de médecin auparavant.
M. R.: Travailler à l’insertion en détention est difficile, notamment à cause de la surpopulation. Plutôt que de construire de nouvelles places de prison, ne vaudrait-il pas mieux accorder plus de moyens à des structures qui accompagnent les personnes en aménagement de peine ou après leur libération ?
L. R. : Il y a en effet une réflexion à mener sur le sens de la peine, la prévention de la récidive et l’utilisation des crédits. Un aménagement de peine, c’est une sortie contrôlée, un outil de prévention de la récidive. Une place de prison coûte 220 000 € à la construction. Une journée de détention, c’est 110 € par détenu. Si c’est pour entasser trois personnes par cellule et fabriquer de la récidive, quand il s’agit de petite délinquance, c’est un peu cher… Il vaut mieux trouver des choses plus utiles en termes de prévention de la récidive.
M. R. : Vous parlez de l’utilité de la peine. Pour ma part, j’ai été condamnée pour un délit mineur. Je ne suis pas certaine que la prison m’ait été utile. Je n’avais pas de problème d’emploi ni de logement, mais la prison a fait naître ces problématiques.
L.R. : Je comprends mais, encore une fois, il s’agit de sanctionner un acte délinquant. Ça peut être désagréable, mais un acte délinquant est aussi désagréable pour la victime ! En prison, vous avez certainement muri. Vous avez rencontré le Wake up Café. Et la prison doit aussi jouer le rôle de repoussoir : c’est un lieu où l’on n’a pas envie de retourner ! La prison doit être digne, sûre, utile. Mais elle se heurte encore à la loi d’airain, comme le regrettait Robert Badinter : il y a une chose que la société ne peut pas accepter, c’est que les détenus soient mieux traités que la classe sociale la plus en difficulté dans le monde libre.
A. C. : Selon une enquête du Secours Catholique et d’Emmaüs France, 34 % des femmes et 42 % des hommes ne reçoivent aucune visite pendant leur détention. Les horaires de visite sont restreints, certaines prisons difficilement accessibles, les parloirs inadaptés aux enfants. Des personnes m’ont confié avoir demandé à leurs proches de ne pas venir par crainte de les traumatiser. Or plus une personne est épaulée, plus elle a de chances de trouver sa place dans la société par la suite et de ne pas récidiver. Comment faire davantage de place à la famille et aux proches des personnes détenues ?
L.R. : Le surencombrement explique une partie des difficultés. Mais les choses évoluent. L’administration pénitentiaire se modernise. Ainsi, pendant la pandémie, on a installé le téléphone dans les cellules et on a instauré sa gratuité. A Poissy, par exemple, on a mis en place des visio-conférences pour permettre aux détenus d’échanger avec leurs proches. On développe également les unités de vie familiales : 55 établissements sont aujourd’hui dotés d’unités où un détenu peut passer jusqu’à soixante-douze heures avec ses proches. Il y a aussi des parloirs familiaux où l’on peut rester six heures. Développer cela, c’est une question de dignité et de droit. C’est aussi un pari sur l’avenir.
A.C. : Il peut y avoir, du côté des magistrats, une réticence vis-à-vis des peines alternatives et des aménagements de peine, par crainte de la récidive. Comment les sensibiliser à la réalité des conditions d’incarcération, aux difficultés de la prise en charge de l’insertion au sein des établissements pénitentiaires, afin qu’ils prononcent davantage de peines alternatives et d’aménagements de peine ?
L. R. : C’est un travail de conviction. Il faut intéresser les magistrats à ce qui se passe après la sanction. Leur faire visiter des maisons d’arrêt. 200 % de taux d’occupation, ça veut dire quoi ? Les avocats aussi sont concernés. Il s’agit d’arrêter de travailler chacun dans son coin. De convaincre qu’il existe d’autres types de peine que la prison. Et que la peine doit être utile.
Il faut également renforcer les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Actuellement, un conseiller d’insertion et de probation suit 80 personnes. Notre objectif est d’augmenter les effectifs pour faire baisser ce ratio à 60.
Et puis, on a la façon de sanctionner que l’on mérite. C’est aussi à la société, aux médias, aux faiseurs d’opinion et aux politiques de porter le débat et de changer l’image de la société sur la prison.