Changements climatiques : en Côte d'Ivoire, des agriculteurs adaptent leurs pratiques
Il est 9 heures du matin dans la localité de Gbelé Lozonlé, dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Dans un champ de cacaoyers, assis sur des bancs formant un arc de cercle, une dizaine de personnes écoute attentivement Sévérin. Ce planteur de cacao est ce qu’on appelle « un paysan relais » c’est-à-dire qu’il enseigne aux autres ce qu’il a appris lors d’une formation dispensée par Caritas Man sur les bonnes pratiques agroécologiques.
Petite barbiche et machette posée au sol, Pascal, un des paysans de l’assemblée, interroge : « J’ai beaucoup d’insectes dans mon champ. Comment expliquer cela ? » Sévérin lui demande alors combien de Fraké, une espèce d’arbres que l’on trouve dans les forêts tropicales d’Afrique de l’Ouest, il compte dans son champ.
Le paysan répond qu’il les a tous enlevés. « Il faut planter les arbres qui luttent contre les insectes, tels que le Fraké ou le palmier, explique Séverin. Et éliminer ceux qui en favorisent la prolifération. » Devant son auditoire, le paysan relais promeut l’agroforesterie. Celle-ci consiste à créer un environnement écologique favorable à une production plus durable, par exemple en produisant de la biomasse végétale pour la fertilité du sol.
Il faut dire que la région a souffert suite à la crise politico-militaire de 2002 et l’arrivée massive de populations des pays voisins ou de l’intérieur de la Côte d’Ivoire. Bruno Droh, chargé des programmes agricoles à la Caritas, explique : « On a alors assisté à une intensification des productions des cultures vivrières et de cacao pour nourrir toutes ces populations. La conséquence a été une utilisation importante d’intrants et une déforestation intensive qui s’est accentuée durant les dix dernières années. Aujourd’hui, on essaie de rectifier le tir en informant les communautés sur les bonnes pratiques agroécologiques. »
Gain de revenus
Dans le champ de cacaoyers, l’auditoire de Sévérin s’est dispersé pour une séance pratique et s’active désormais, machette à la main. Ils enlèvent les mauvaises herbes au sol et les branches superflues, appelées « gourmands », sur les arbres. Avec le champ école, Pascal a appris quelque chose : « Je sais reconnaître les gourmands nuisibles et les enlever au moment du désherbage pour obtenir plus de fruits. »
J'ai multiplié par trois mon rendement.
Moussa, un autre planteur, est très heureux de cette technique : « J’ai multiplié par trois ma production sur les 6 hectares que j’exploite. Et mes revenus sont passés de 330 000 à plus d’un million de francs CFA par an. » Avec ce gain, il a prévu de se construire « une nouvelle maison, plus moderne ».
Parmi les bonnes pratiques agroécologiques, il y a également le fait de garder des feuilles autour des pieds des cacaoyers. Un procédé qui permet de nourrir naturellement le sol pour le rendre plus fertile et de préserver l’humidité dont l’arbre a besoin. Cette méthode est essentielle alors que la région de Man est touchée par des chaleurs de plus en plus fortes et qui durent de plus en plus longtemps.
« Depuis trois ans, les températures ressenties durant les saisons sèches sont de 2 à 3°C plus élevés par rapport aux années antérieures, explique Bruno Droh, de Caritas Man. Et la pluie aurait dû revenir mi-février. Or, en mars, nous l’attendions toujours. » Les producteurs, dit-il, prennent pleinement conscience du dérèglement climatique.
Solidarité
A deux kilomètres de là, des femmes, parées de pagnes colorés et munies de leurs outils, bêchent la terre, chantant en chœur pour se donner du courage. Ces agricultrices sont membres de l’association Solidarités des femmes de cacaoculteurs de Lozonlé, que soutient également Caritas Man.
Tout comme les producteurs de cacao, elles aussi doivent s’adapter aux conditions climatiques et trouver de nouvelles idées pour cultiver, comme le raconte Emma, vice-présidente de l’association : « Nous avons commencé par semer des graines de piment et d’aubergine. Mais cette année a été particulièrement chaude et nous avons été confrontées à un manque d’eau. La culture a échoué. Nous avons alors décidé de planter de l’arachide. Cette légumineuse a besoin de moins d’eau pour se développer. »
Pour s’adapter aux changements climatiques, et continuer à produire malgré les hausses de températures, les maraîchères appliquent, elles aussi, les techniques de l’agroécologie. L’objectif est le même que chez les cacaoculteurs : avoir des sols plus fertiles et donc accroître les rendements.
C’est Noël, un paysan formé par Caritas, qui guide les maraîchères. « Elles ont utilisé de la cendre de cuisine, plutôt que des produits chimiques, pour désinfecter la pépinière avant de planter, explique-t-il. Et elles ont conservé la paille recouvrant le sol de la parcelle pour fertiliser naturellement la terre et éviter l’érosion durant l’arrosage. »
Tandis que les cacaoculteurs appartiennent à la même coopérative agricole, les maraîchères ont créé une association « pour travailler ensemble et être solidaires les unes des autres », explique l'une d'elles, Thérèse. Avec les bénéfices tirés de la vente de leurs récoltes, elles comptent investir dans une machine à broyer le manioc ou un moulin décortiqueur de riz. Cet esprit d'entraide et de coopération est sans doute également l'une des clés pour faire face au durcissement des conditions climatiques.
Lire aussi : Les changements climatiques, catalyseurs de pauvreté