L’agroécologie est-elle l’avenir de l’homme ?
La production alimentaire mondiale provient à 75 % des exploitations familiales. Or les petits agriculteurs sont les premiers à souffrir de la faim et de la misère, souvent à cause du changement climatique ou des politiques agricoles incitant à la monoculture et à l’utilisation de produits chimiques.
Pourtant, assurent - et prouvent sur le terrain - les tenants de l’agroécologie, la nature est généreuse et elle le restera si nous la respectons et la protégeons.
Pour le Secours Catholique-Caritas France, pour bon nombre de chercheurs et même pour le pape, il y a urgence à promouvoir une agriculture respectueuse de l’environnement, capable de nourrir correctement la planète et de faire reculer la pauvreté.
pourquoi l'agroécologie est une voie d'avenir
Dans le monde, plus de 70 % des personnes souffrant de la faim vivent dans les campagnes. Pourquoi un tel paradoxe ? Et comment y mettre fin ? Pour le Secours Catholique-Caritas France, pour bon nombre de chercheurs, et même pour le pape, une partie de la réponse se trouve dans l'agroécologie.
Dans son encyclique « Laudato Si », sous-titrée « Sur la sauvegarde de la maison commune », le pape exhorte le monde à pratiquer une agriculture durable, diversifiée, respectueuse de la nature, des animaux et des hommes.
François y prend la défense de millions de paysans qui travaillent durement et qui ne peuvent plus tirer de leur labeur une juste rémunération. L’agroécologie est le modèle décrit par le pape, sans jamais citer son nom, pour sauver la Création.
Dans le monde, plus de 70 % des personnes souffrant de la faim vivent dans les campagnes. Quelles sont les causes d’un tel paradoxe ? Des parcelles plus petites, l’insécurité foncière, l’accaparement des terres, l’inexistence des réseaux de distribution, le réchauffement climatique...
Dans ces conditions, comment, en 2050, pourrons-nous nourrir les 9 milliards d’humains qui peupleront la planète ? L’économiste Bruno Parmentier, ancien directeur de l’École supérieure d’agriculture d’Angers, incite à « produire autant, avec moins : moins de pétrole, de tracteurs, de pesticides ».
Comment ? En redonnant à la terre sa faune (vers de terre, abeilles et bactéries) largement décimée par les produits chimiques. En Afrique, il estime possible de tripler la production agricole par des moyens écologiques.
Écosystèmes et recherche
Autre défenseur de l’agriculture biologique, le penseur et écrivain Pierre Rabhi dénonce les engrais et pesticides chimiques qui appauvrissent nos sols et polluent nos nappes phréatiques. « Si la terre est malade, dit-il, elle produit des végétaux malades qui nourrissent des animaux carencés, etc. Une stupidité. »
En bout de chaîne, l’humanité doute de l’innocuité de son alimentation. L’agroécologie rassure. Mais en privilégiant une production alimentaire de proximité, elle n’a pas pour finalité le développement du commerce et des échanges comme nous y engagent les théories économiques dominantes actuelles.
« Il est vrai qu’importations et exportations de produits agricoles et chimiques font entrer des devises dans les caisses des États », observe Jean Vettraino, chargé de plaidoyer au Secours Catholique.
« Mais il faudrait calculer ce que cela coûte en termes de santé publique et de dépollution des eaux. Cela n’a jamais été fait au niveau d’un État. » Jean Vettraino est co-auteur d’un récent rapport de l’association intitulé Agroécologie et développement durable.
Ingénieur agronome et ancien haut fonctionnaire au ministère de l’Agriculture, Jean-Noël Ménard a également apporté son expertise à l’élaboration de ce remarquable rapport qui souligne les obstacles au développement de l’agro-écologie : plus de travail que l’agriculture « classique », nécessité d’étudier au plus près les agro-écosystèmes, et besoins accrus en recherche.
Mais il souligne les avantages de la démarche : meilleure valorisation du travail du paysan, avec une moindre ponction sur son revenu par l’amont (par les semences et les intrants chimiques “brevetés”) et par l’aval (moindre dépendance de circuits de commercialisation puissants maîtrisés par des entreprises étrangères), restauration de la fertilité des sols, protection de l’environnement, regain de biodiversité, économies en eau d’arrosage, gains en qualité de l’alimentation des familles paysannes…
Transitions
Propre, proche et durable, l’agroécologie telle que définie par ce rapport est « une pratique, mais aussi une science située entre agronomie et écologie ayant pour vocation de renforcer les liens qui unissent la terre et les communautés paysannes ».
Elle implique un minimum de connaissances de la part des paysans, et notamment des paysannes, ces dernières étant plus nombreuses. Pour cela, les filles ne doivent plus être exclues des systèmes scolaires. « Développer l’agroécologie sans développer l’alphabétisation n’aurait aucun sens », affirme Jean Vettraino.
Au Maroc, Caritas Rabat soutient des programmes agro-écologiques dans des zones où la population adulte est analphabète. Les paysans suivent des cours pour apprendre à lire, à écrire, à compter, à tenir une comptabilité. Il n’y a pas de développement sans éducation. » Jean Vettraino ne distingue pas écologie et société. L’agro-écologie appelle un changement radical de société.
Mais peut-on passer du jour au lendemain d’une agriculture industrielle à une agroécologie ? Comment lutter contre les lobbies des géants agro-industriels, depuis les semenciers jusqu’aux producteurs de pesticides, en passant par les transporteurs et les syndicats ?
« Il faut aménager des transitions, répond Jean Vettraino. Accompagner les agriculteurs et appuyer les politiques publiques qui vont dans ce sens. »
« On ne dit pas que l’agroécologie est la solution miracle, poursuit-il. On dit que c’est une démarche porteuse de progrès, une voie d’avenir. Et pas seulement pour l’agriculture. C’est l’avenir de notre alimentation et de notre société. Personne ne dit que cette transition sera simple. »
« Il faut un changement de paradigme »
Entretien avec Philippe Baret, agronome belge qui enseigne à l’Université catholique de Louvain.
Comment définissez-vous l’agroécologie ?
L’agroécologie est un ensemble de principes d’action fondés sur deux grandes idées. La première : on travaille avec la nature et non pas contre elle. C’est donc une agriculture qui s’appuie sur le fonctionnement naturel d’un écosystème. Nous ne sommes plus dans une approche minière où l’on extrait des choses de la nature, mais dans une approche en synergie avec la nature.
La seconde idée : l’agriculture doit être efficace d’un point de vue économique – le but étant de gagner sa vie et nourrir sa famille –, c’est au niveau du système qu’il faut réfléchir et non plus au niveau de la parcelle. On peut essayer de maximiser la production d’une parcelle de blé, mais ce ne sera jamais suffisant.
Il faut donc réfléchir au modèle le plus pertinent possible à la fois au niveau du revenu de l’agriculteur et au niveau de la durabilité environnementale.
En quoi le modèle agroécologique rend-il plus durable l'environnement ?
Ce modèle rend plus facile le respect conjoint des contraintes environnementales et des contraintes de production. Dans une approche d’agriculture classique, on appréhende les dimensions économique et environnementale dans une espèce d’addition-sanction faite de contraintes et de compromis.
Alors que dans une démarche agroécologique, on pense ces deux dimensions ensemble, dans une logique de synergie. On essaie de mettre l’environnement au service de l’agriculture.
Ainsi, l’environnement n’est plus considéré comme une contrainte mais comme un allié dont on a besoin pour produire. Et donc, on le respecte parce qu’on en a besoin sur le long terme.
L'agroécologie est-elle un retour vers le passé ?
S’il y a effectivement, dans l’agroécologie, une remise à l’ordre du jour de principes du passé, comme celui de la durabilité, je ne suis pas d’accord avec l’idée d’un retour en arrière. On ne peut pas dire aux agriculteurs : « désormais, vous ne ferez plus ça », c’est contraire à leur principal moteur d’action : le progrès.
L’agroécologie leur propose de réfléchir à des manières de travailler avec d’autres logiques que le rendement. On va chercher des solutions nouvelles pour essayer, par exemple, de conserver son sol, pour résister aux maladies, pour mieux utiliser l’eau ou l’espace. On est dans une logique d’innovation et non de régression.
Comment faire en sorte que l’agroécologie soit viable économiquement ?
Étonnamment, la dimension économique a peu été étudiée jusqu’à présent. C’est pourtant primordial. Si la viabilité économique n’est pas assurée, les producteurs ne se convertiront jamais à l’agroécologie, ce qui semble normal.
Il y a deux clés, pour moi. La première est la relocalisation : produire pour le local et non pas pour le global. Cela permet généralement une meilleure maîtrise des aspects économiques. La seconde clé, c’est qu’il faut changer les règles de fonctionnement de l’économie agricole.
On sait bien que les systèmes agricoles actuels ne fonctionnent pas selon les règles économiques du marché parfait, de l’offre et de la demande, de la concurrence... Ce sont des systèmes basés sur des subventions et régis par des rapports de force avec les grands acteurs de l’agrofourniture.
Il faut donc arrêter de demander à l’agroécologie d’être viable économiquement dans un monde où les règles sont faussées. Si ces règles ne sont pas changées, et si on continue à considérer que le prix de la nourriture est uniquement celui auquel on l’achète, alors je vois mal comment l’agroécologie pourrait se développer massivement.