À Paquemas, le retour à la terre des paysans colombiens
Une cuisine, une chambre, quelques chaises en plastique disposées sous un auvent. Nichée en haut d’une pente herbeuse, la maison de Luis et Perfecta Mejilla est modeste. Mais pour ce couple de paysans colombiens, ces quatre murs en parpaings, ce sol en béton brut et ce toit de tôle grise ont une valeur inestimable.
Celle du combat mené pour revivre ici, depuis deux ans maintenant, vingt ans après avoir été contraints de fuir. D’un mouvement de tête, Luis désigne le gros manguier devant la maison. « Cet arbre, c’est moi qui l’ai planté en 1994 », explique-t-il.
Un rêve de courte durée
Cette année-là, dans le cadre d’une réforme agraire, l’État avait racheté à un grand propriétaire terrien la ferme de Paquemas, dans le département d'Antioquia, puis divisé ses 2 740 hectares pour les répartir entre 114 familles.
Pour ces ménages d’origine paysanne, un rêve se réalisait : celui de posséder leur propre lopin de terre à cultiver. C’était l’assurance de la sécurité alimentaire. « On avait planté des bananiers, du manioc, du maïs, du riz et de l'igname, se rappellent Luis et Perfecta. On avait aussi quelques poulets, des chevaux et un âne. »
Mais le rêve sera de courte durée. Situé dans un corridor reliant deux vallées, le territoire présente des enjeux stratégiques pour les différents protagonistes du conflit armé en cours.
« En 1995, on voyait passer beaucoup de guérilleros des Farc, raconte Luis. Souvent, ils s’arrêtaient pour nous demander à manger ou à boire. » Soupçonnées par les Farc d’être liées aux paramilitaires, le camp ennemi, certaines familles sont obligées de fuir la communauté.
C’est le cas, d’Alejandro Grande Ochoa, 57 ans. Le paysan raconte avoir été kidnappé par la guérilla durant six jours, en 1995, avant de réussir à s’échapper, puis à s’enfuir avec sa femme et ses enfants à Apartado, la ville voisine.
« Pour les protagonistes armés, la neutralité n’existe pas, observe-t-il. Si tu n’es pas victime de leur adversaire, tu es forcément son allié. »
Un an plus tard, en juin 1996, l’armée et les paramilitaires prennent le contrôle de la zone. Luis et Perfecta se souviennent des hélicoptères survolant leur ferme, des bombes larguées au loin. « Nous nous sommes cachés. »
Tous les habitants encore présents sont accusés de complicité avec les guérilleros. Des bruits circulent. On parle d’assassinats. « Le premier à avoir été tué, c’est Oscar Sevillos, le président de notre association de paysans », raconte Luis.
Deux jours plus tard, les paramilitaires font entrer du bétail sur le terrain de Luis et Perfecta – « les vaches ont détruit nos cultures » – et incendient leur maison. «Nous n’avions pas d’autre choix que de fuir.»
Dans les mois qui suivent, les familles de Paquemas plient bagage les unes après les autres, souvent après avoir été contraintes par les paramilitaires de vendre leurs terres.
Beaucoup s’installent à quelques kilomètres et travaillent comme ouvriers agricoles dans de grandes plantations de palmiers ou de bananiers.
D’autres rejoignent la ville, à l’instar de Flora Abavera Sanchez, qui a fui avec ses enfants après l’assassinat de son mari. « À Medellin, puis Apartado, j’ai enchaîné les petits boulots, vendu des journaux, lavé du linge… »
Un combat âpre
En 2011, la loi sur les victimes et la restitution de terres (loi 1448) est votée. Plusieurs familles reprennent contact pour tenter de reprendre possession de leur terrain.
« Mais nous n’étions qu’un groupement de personnes. Aux yeux des autorités nous n’existions pas », commente Maria Nubia Vera Pondono, 50 ans. L’accompagnement de la pastorale sociale d'Apartado et de la Caritas colombienne, partenaire du Secours Catholique, a été primordial.
« Ils nous ont formés sur les questions d’accès à nos droits et d’accès à la justice, et ils nous ont aidés à nous organiser, explique Maria. À partir du moment où vous êtes constitué légalement en association, l’État est obligé de vous écouter. » Être soutenus par des acteurs tiers a aussi joué un rôle dans l'attention qui a été portée à leurs revendications.
Depuis 2014, 39 familles sur les 112 qui souhaitaient revenir ont obtenu gain de cause auprès de la justice. Le combat est âpre, car les autorités collaborent avec réticence. Les décisions de restitution arrivent au compte-gouttes. Et les moyens censés être attribués aux familles pour leur permettre de vivre convenablement, notamment en développant une activité économique, se font attendre.
« Nous dérangeons tout le monde », constatent Luis et Perfecta. Depuis leur réinstallation, ils ont replanté du riz et des bananes et élèvent quelques animaux. « Mais pour l’instant, c’est pour notre propre consommation. Il nous manque les moyens d’investir pour pouvoir commercialiser. »
La quarantaine de familles revenues cohabite avec celles installées il y a vingt ans par les paramilitaires et qui sont susceptibles aujourd’hui d’être expulsées. Ce qui est source de tensions.
« Insultes, menaces, dégradations… Notamment pour les premières familles qui se sont réinstallées, cela a été très dur », relate Jeannette Cordoba, qui travaille sur place en lien avec Caritas Colombie. Pourtant, Luis et Perfecta ne regretteront jamais leur décision, car « pendant vingt ans nous avons vivoté. Ici, nous vivons à nouveau ».
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