Assassinats de leaders en Colombie : la guerre invisible
Don Misael Payares se souvient de ce jour de juillet 2012, lorsqu'à cheval pour se rendre dans un village voisin il a croisé la route de trois hommes qui l'attendaient, armés de machettes.
« Ils ont tué mon cheval et m'ont dit que si je poursuivais à pied, c'est moi qu'ils tueraient. » Depuis cet épisode, ce leader d'une communauté de 114 familles, à Buenos Aires, dans le département de Bolivar, a subi d'autres intimidations. Il a fini par demander une protection individuelle fournie par l'État colombien.
Dehors, son garde du corps l'attend, adossé à un 4x4 blindé. Son tort ? Défendre les terres de petits paysans contre les convoitises d'une entreprise de production d'huile de palme. La menace qui pèse sur lui est réelle.
Le vendredi 6 juillet, des milliers de personnes se sont rassemblées dans les 30 principales villes de Colombie pour dénoncer les assassinats de leaders sociaux et communautaires colombiens, en forte recrudescence ces derniers mois.
Guerre insidieuse
Difficile d'obtenir un chiffre exact, car ces assassinats ne sont jamais revendiqués comme tels, et les enquêtes judiciaires aboutissent très rarement par manque de moyens ou de volonté des autorités.
On parle cependant de plus de 300 assassinats depuis deux ans. Une sorte de guerre invisible, insidieuse et multiforme sévit ainsi en Colombie contre ces leaders qui contrarient certains intérêts.
« Aujourd'hui, il n'y a plus de massacres comme par le passé et on n'assassine plus les grands leaders politiques », note Yermin Sanguino, de l'organisation paysanne Cisca, soutenue par le Secours Catholique.
« La stratégie a changé. On s'attaque désormais aux petits leaders locaux, en les stigmatisant, en les agressant, en les menaçant, et parfois en les assassinant. Ce n'est jamais direct. Vous allez rarement recevoir une lettre de mise en garde comme ça pouvait être le cas avant. »
Un jour, Don Misael Payares est apparu en guérillero sur un photomontage diffusé à la télévision. Il y voit une manœuvre de l'entreprise productrice d'huile de palme pour le décrédibiliser.
Leader communautaire à El Tarra, dans le Catatumbo, à l'extrême nord de la Colombie, Paolo Tellez, 56 ans, dit se sentir en danger de façon constante. Dans cette région, la population est prise en étau entre l'armée, les groupes paramilitaires, les narcotrafiquants et deux groupes de guérilleros non affiliés aux Farc, qui se disputent le territoire.
« L’influence des leaders communautaires gêne ces acteurs, explique Paolo Tellez. Ils veulent casser toute dynamique sociale dans les communautés pour mieux contrôler la zone. »
À Teorama, dans le nord du Santander, Jorgen Acosta, 38 ans, confie ressentir parfois une peur panique. Par exemple lorsqu'il apprend l'assassinat d'autres leaders comme lui.« C'est comme un nuage gris qui s'approche, décrit-il. Tu te dis que la pluie ne va pas tarder à te toucher. »
Les partenaires locaux du Secours Catholique se battent pour la protection des leaders sociaux et défenseurs des droits de l'homme. La Caritas colombienne, par exemple, exerce une pression sur les autorités publiques afin que cesse l'impunité dont jouissent les auteurs et commanditaires des crimes.
En parallèle, elle mène un travail auprès de l'opinion publique pour rendre visible et valoriser ces leaders. « L'un de nos plus gros défis, explique Jonathan Rodriguez, de Caritas Colombie, est de vaincre l'indifférence des Colombiens. »
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