Climat : « On risque de devoir choisir entre se nourrir et séquestrer nos émissions »
Ce nouveau rapport de 1200 pages fait suite à celui d’octobre 2018 qui portait sur l’objectif de limiter le réchauffement global à 1,5°C.
Que nous apprennent les scientifiques ? Décryptage avec Sara Lickel, chargée de plaidoyer « climat » à la direction internationale du Secours Catholique.
Sara lickel, chargée de plaidoyer climat au secours catholique
Secours Catholique : Que dit ce nouveau rapport du GIEC ?
Sara lickel : Il faut tout d’abord rappeler que ce rapport qui s’intitule « changements climatiques, désertification, dégradation des terres, gestion durable des terres, sécurité alimentaire et écosystèmes terrestres » s’inscrit dans un cycle de trois rapports additionnels du GIEC : il fait suite à celui d’octobre 2018 sur l’objectif des 1,5°C, et sera suivi en septembre prochain d’un rapport sur l’océan et la cryosphère.
Ce nouveau rapport du GIEC étudie tout d’abord les impacts des changements climatiques sur les terres. Il confirme ce que l’on savait déjà, à savoir que les terres contribuent à la régulation du climat car elles sont à la fois des sources de gaz à effet de serre et des puits de carbone. On a donc besoin d’elles pour nos écosystèmes mais aussi pour garantir des moyens de subsistance et d’alimentation pour les hommes et les femmes. Avec les changements climatiques, nous perdons de la biodiversité, des écosystèmes terrestres, et des ressources en eau. Et c’est une première à l’échelle de l’histoire humaine !
Le rapport nous apprend également que si aujourd’hui la température de l’air a augmenté de 0,8° par rapport aux niveaux préindustriels, elle a déjà augmenté de 1,5°C au sol. Le réchauffement global est donc plus rapide dans les sols et cela a des conséquences sur l’agriculture, sur la sécheresse, sur la perte des forêts etc.
Par ailleurs, le rapport confirme que nos systèmes alimentaires sont défaillants car ils émettent près de 37 % des émissions de gaz à effet de serre. Les scientifiques expliquent par exemple que la production de viande industrielle a des conséquences lourdes en terme d’émissions de méthane. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que les émissions de carbone dans les gaz à effet de serre mais aussi le méthane et le protoxyde d’azote.
Les experts remettent également en cause notre système de consommation. Par exemple un tiers de notre nourriture est gâchée alors que 821 millions de personnes souffrent toujours de la faim dans le monde. Ce à quoi s'ajoutent 2 milliards d'adultes en surpoids ou obèses : c'est un vrai problème de santé publique. Nos systèmes alimentaires polluent donc et sont fortement émetteurs de gaz à effet de serre, sans pour autant remplir leurs fonctions nutritives.
Enfin, le rapport explique que les émissions réelles de carbone sont 50 fois plus importantes que ce que les pays déclarent. Cela doit donc avoir des conséquences sur les décisions politiques prises car la réalité est 50 fois plus grave !
Le rapport évalue également les impacts des solutions de lutte contre les changements climatiques et rapporte que 40 % des actions entreprises par les pays dans leurs plans nationaux de mise en œuvre de l’Accord de Paris adopté à la COP21 concernent le secteur des terres, c’est-à-dire soit les forêts, l’agriculture, etc. Ainsi le rapport parle de solutions positives (par exemple des agricultures moins émettrices de gaz à effet de serre comme l'agroécologie) mais met aussi en garde contre de fausses solutions comme lles technologies de séquestration du carbone.
S.C : En quoi certaines solutions proposées pour rester sous le seuil d’1,5°C ont des impacts sur les terres et sont dangereuses pour les populations les plus pauvres ?
S.L : Ce rapport nous montre de nouveau les limites des possibilités d’adaptation : plus le réchauffement global est important, plus il est difficile de s’adapter. Il y a donc urgence à agir. Dans le rapport sur le réchauffement à 1,5°C, le GIEC exposait différents scénarios pour rester sous ce seuil.
Le scénario le plus durable consiste à adopter d’ici 2020, l’an prochain, des politiques structurelles fortes pour modifier nos systèmes de production et réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, tout en protégeant et restaurant nos écosystèmes terrestres. Aujourd'hui, ils absorbent 22% de nos émissions, mais si la dégradation actuelle des terres continue, cette logique va s'inverser et nous pourrions perdre beaucoup.
Mais le GIEC évoquait également d’autres scénarios qui impliquent des émissions négatives, c’est-à-dire qui consistent à retirer le carbone de l’atmosphère. Par exemple, les BECCS (Bio Energy with Carbon Capture and Storage) consistent à faire pousser de la biomasse en monoculture, avant de la brûler pour produire de l’énergie et de capturer et de stocker le CO2 sous la terre.
Les conséquences de la bioénergie sont présentées dans ce rapport : il y a de graves impacts sur la biodiversité, la qualité des sols, l’eau etc. Le rapport montre en effet que les monocultures consomment trop d’eau et dérèglent les écosystèmes.
Sans parler du fait que cette technologie va créer une compétition sur les terres avec une triple mise en concurrence de l’espace. Nous risquons de nous retrouver à devoir choisir entre se nourrir, produire de l’énergie avec des agrocarburants, ou séquestrer nos émissions.
Cette compétition sur la terre est inadmissible. Ces solutions mettent en danger la sécurité alimentaire et le droit à la terre des populations les plus pauvres. Celles-ci risquent d’être déplacées de force et de subir la faim.
S.C : Quelles solutions de lutte contre les changements climatiques proposées dans le rapport sont, à l’inverse, positives à la fois pour les terres et pour les populations ?
S.L : Les solutions de type agroécologie ou agroforesterie que défend le Secours Catholique le sont également dans le rapport du GIEC. Elles ont l’avantage d’être moins gourmandes en intrants, moins polluantes, et moins émettrices de gaz à effet de serre. Le rapport explique aussi qu’elles peuvent augmenter la productivité et donc permettre dans le même temps de lutter contre la faim.
Ce rapport scientifique le dit : il est possible - et nécessaire - d’avoir des scénarios qui permettent à la fois de lutter contre les changements climatiques et d’éradiquer la pauvreté.
S.C : Après ce nouveau rapport du GIEC, quelle est la prochaine étape dans les négociations climatiques ?
S.L : Nous sommes dans une année particulière. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a convoqué un sommet spécial sur le climat en septembre en demandant aux États de venir avec des feuilles de route appliquant l’accord de Paris et avec des contributions plus ambitieuses en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre.
Il a parlé d’une « grave urgence climatique » et dit qu’il serait « suicidaire » de ne rien faire. Les deux rapports spéciaux 2019 du GIEC, celui sur les terres et celui sur les océans, doivent aussi nourrir les réflexions des gouvernements. On attend des contributions rehaussées et des politiques fortes de transition à mettre en œuvre rapidement.
En effet dans le rapport de 2018, le GIEC expliquait qu’il fallait mettre en œuvre des politiques dès 2020 pour réduire de 45 % les gaz à effet de serre d’ici 2030 au niveau global, et contenir le réchauffement à 1,5°. Pour l’Union Européenne, nous attendons des mesures permettant d’arriver à une baisse de 65% en 2030.
Cette année 2019 est donc une année forte sur le plan diplomatique pour que les pays émetteurs réhaussent leurs contributions et donnent l’exemple aux autres. Nous les attendons au tournant d’ici à la COP 25 à Santiago au Chili en décembre prochain.
Lire le communiqué de presse du Secours Catholique sur le sujet