Pauvreté en Haïti : une violence inouïe
« Nous sommes à un pic. Le pays est une véritable poudrière. Il n’est plus gouverné et va à la dérive. », alerte Anthony Eyma, directeur de Concert’action, une ONG haïtienne partenaire du Secours Catholique. Avec un premier ministre – Jean-Michel Lapin – en intérim depuis des mois, la tenue des législatives en octobre reste incertaine.
En début d’année, une semaine de manifestations – une opération baptisée « pays lock » (pays bloqué), voir l’article Caritas Haïti, le pays au bord de la Révolte – avait provoqué la chute du gouvernement et fait sept morts. C’est que la révolte gronde. En cause : la publication d’un rapport de la Cour supérieure des comptes haïtiennes sur des projets financés par des prêts dans le cadre de l’alliance Petro Caribe entre le Venezuela et Haïti et qui a permis de récolter 4 milliards de dollars. Mais l’argent n’a pas servi au développement du pays comme cela était prévu.
Fin mai, un second rapport a directement accusé le président Jovenel Moïse d’être au cœur d’un « stratagème de détournement de fonds. » Plusieurs milliers d’Haïtiens sont retournés en juin dans la rue, manifestants et policiers se sont affrontés à coups de pierres et de grenades lacrymogènes, des tirs à balles réelles ont également résonné.
Trois Haïtiens sur quatre vivent avec moins de deux euros par jour
Au moins deux personnes sont mortes. « Le gouvernement veut étouffer la revendication du peuple », enrage Jean-Gardy Joseph, coordinateur de Caritas Port-au-Prince, partenaire du Secours Catholique. S’ajoute à cette répression un climat délétère avec un accroissement du banditisme et de la délinquance.
La Commission épiscopale justice et paix évoque pas moins de 122 morts dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince entre janvier et mars. Les violences sont donc en recrudescence. « Vivre dans la misère est d’une violence inouïe pour le peuple qui répond à son tour par la violence. », analyse le père Jean Hervé François, directeur de Caritas Haïti.
LES PRIX S’ENVOLENT
Lors des manifestations contre la corruption les haïtiens réclament la démission du président. « Le peuple veut un changement de système car rien ne marche en Haïti », poursuit Jean-Gardy Joseph. « Pendant que les haïtiens croupissent dans la boue, une élite s’enrichit sur leur dos, ce sont des rapaces. », s’insurge le père Jean-Edner Bréné, directeur de Caritas Port-au-Prince.
De fait, rappelons que trois Haïtiens sur quatre vivent avec moins de deux euros par jour et que le pays est 168e sur 189 au classement de l’indice de développement humain (IDH). Le taux de chômage explose et surtout l’inflation est galopante. Alors que le taux était d’un dollar pour cinq gourdes en 1986, il était d’un dollar pour 75 gourdes en janvier 2019 et déjà un dollar pour 94 gourdes en juillet !
« Le peuple s’étouffe à cause de la montée du dollar car les prix grimpent. », note Jean-Joseph Gardy. « Notre pays importe la majorité de ces produits – NDLR : 60 % des besoins alimentaires – donc quand les prix augmentent, les gens se ruinent et n’arrivent plus à se nourrir. », reconnaît Raoul Vital, cadre technique du ministère de l’environnement.
La libéralisation a cassé nos productions nationales
« La libéralisation a cassé nos productions nationales : le riz américain est déversé en Haïti, on importe presque tout, on ne produit plus. », se lamente Anthony Eyma de Concert’action, sachant que les changements climatiques n’améliorent en rien la production alimentaire nationale (lire l’article Haïti à l'heure des changements climatiques ).
Le politiste Frédéric Thomas du centre Tricontinental semble aller plus loin sur la responsabilité de la communauté internationale dans une tribune au journal Le Monde : « Ce n’est pas seulement une crise des contre-pouvoirs et des institutions que dévoile le rapport de la Cour des Comptes mais bien un processus de désinstitutionalisation qui plonge ses racines dans la politique de privatisation mise en œuvre depuis quatre décennies. La corruption à grande échelle en Haïti n’est que la contrepartie de la « sagesse » des puissances internationales. »
Résultat : les Haïtiens quittent les campagnes pour les villes (40 % de la population vit à Port-au-Prince) ou tentent de fuir pour la Guadeloupe voisine selon la Cimade. « Mais même en ville, il y a des coupures d’électricité et un manque d’eau. Les haïtiens ne peuvent pas se soigner, les routes sont dans un piteux état, on a des problèmes de télécommunications. Nos politiques n’ont pas investi dans le développement du pays. », estime le père Jean-Hervé François.
Les Haïtiens ne vivent pas, ils survivent.
Les Haïtiens ne vivent pas, ils survivent. En juin, les évêques d’Haïti ont déclaré vouloir voir « à tous les échelons des pouvoirs et de la fonction publique des femmes et des hommes nouveaux par leur mentalité, leur conscience professionnelle et leurs compétences. » et ont appelé les protagonistes à « réparer les injustices sociales. »
De son côté le groupe consultatif ad hoc du conseil économique et social des Nations unies a estimé qu’il « faudrait s’employer à satisfaire les besoins fondamentaux de la population et à remédier à la crise humanitaire que connaît le pays ». Ils n’ont pour le moment pas été entendus. Le pays est toujours au bord de l’explosion.